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LES AMBIGUÏTÉS DU CADUCÉE (II)
L’État, la santé publique, les médecins.
Aspects socio-historiques (1776-1892)
La société royale de médecine s’était constituée Comment l’hygiénisme du siècle suivant
pour lutter contre les épidémies, fléaux antiques aborda-t-il des épidémies dont le seul nom fai-
devenus pour les Modernes risques straté- sait trembler les populations et qui comportaient
giques attentant à la sûreté du royaume. un risque de destruction et d’anarchie sociales ?
PROLÉGOMÈNES CHOLÉRIQUES
UNE AVANT-PREMIÈRE : LA FIÈVRE JAUNE personnes atteintes, en 100 jours, entre la fin
DE BARCELONE août et la mi-décembre 1821. On comptait
jusqu’à 500 cadavres en vingt-quatre heures.
Une épidémie de fièvre jaune s’était déclarée à Plus de la moitié de la population avait fui la ville.
Barcelone en 1821, après qu’un brick en prove- « Voilà pourquoi, en entrant à Barcelone, nous
nance de La Havane eut accosté. Le gouverne- trouvâmes les rues désertes et silencieuses. Ce
ment français dépêcha sur les lieux une com- silence sinistre n’était interrompu, pendant la
mission de médecins dirigée par Etienne Pariset nuit, que par les pas des médecins qui couraient
(1770-1847), médecin aliéniste en faveur au- chez les malades et le retentissement des mar-
près de Louis XVIII, qui devait succéder à Pinel teaux qui clouaient les cercueils, ou bien par le
à la direction de La Salpètrière. La commission son de la cloche qui précédait le saint viatique,
séjourna sur les lieux du 8 octobre 1821 au par les prières que murmurait le prêtre, et le bruit
6 novembre. André Mazet, jeune chirurgien du tambour qui, d’instants en instants l’annon-
grenoblois, fut contaminé. Sa mort souleva une çait aux fidèles » (p. 26). La topographie et les
immense émotion. Les membres de la commis- relations sociales le montrent : « Ce qui ajoutait
sion furent considérés comme des héros ayant à la force du mal, ce qui lui donnait des ailes,
fait le sacrifice d’eux-mêmes à la cause de c’était le mélange, c’était le rapprochement entre
l’humanité. Le chef de mission, Pariset, qui avait les hommes ; plus il était important, plus le mal
observé une épidémie de fièvre jaune en était prompt et mortel ».
Andalousie en 1819, était convaincu que l’épidé- La contagion, difficilement démontrable, se
mie était liée au déplacement des hommes et voyait. Les auteurs problématisent une évidence
par conséquent contagieuse. sans preuve, le « contagionisme », enjeu idéolo-
Trois membres de la commission (Bally, gique et politique.
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François, Pariset) publièrent un rapport histo- « Mais si une maladie se prend, elle se trans-
riographique, topographique, descriptif, médi- porte : qu’en conclure ? Qu’elle a un germe, un
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cal . L’ouvrage collationnait un nombre impres- principe, un ferment qui est l’agent, qui est l’ins-
sionnant de cas cliniques, d’observations trument de sa transmission. Ce principe est
sociales, statistiques et médicales qui démon- invisible, mais il est réel ; et, nous l’avouons de
traient la nature contagieuse de la fièvre jaune. bonne foi, cette réalité est pour nous une vérité
La commission proposait le chiffre de 18 000 à démontrée. Quelle est la nature de cet être ?
20 000 victimes à Barcelone pour 70 000 Nous l’ignorons. Où réside-t-il ? Nous espérons
1 Jean-André Rochoux (1787-1852) lui aussi membre de la commission s’en sépara précipitamment au décès de Mazet
et rejoignit le camp des non-contagionistes.
Bally, François et Pariset se virent attribuer une rente de 2000 Fr par Louis XVIII (loi du ‘4 avril 1822).
2 François-Victor BALLY, André FRANÇOIS, Etienne PARISET, Histoire médicale de la fièvre jaune observée en
Espagne et particulièrement en Catalogne, dans l’année 1821, Paris, L. Colas, 1823. 613 p.
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