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incertains ; les moyens prophylactiques ne Passant en revue les traitements, saignées,
donnent que des chances rares ou douteuses ; antispasmodiques, toniques, amers, bains de
mais les mesures sanitaires, pour arrêter ou vapeur, sinapismes, frictions, opium, laudanum,
prévenir l’irruption, pour la fuir ou s’en préserver bismuth, calomel… l’Académie les déclarait
par la séquestration, obtiennent au contraire les « employés avec des succès et des revers
plus heureux succès » (p. 68). Au dispositif égaux ». Pour le reste, elle répétait les poncifs
sanitaire lourd, il convient d’ajouter des gestes hygiénistes, signalait les dangers des « agglo-
individuels d’hygiène, en particulier un lavage mérations » de troupes et de population, des pri-
fréquent des mains au moyen de liquides vations, des lieux insalubres et non aérés, etc.
oléagineux ou de corps gras.
La réponse ne pouvait satisfaire un gouverne-
Mais Moreau de Jonnès n’est pas médecin, sa ment en quête de données fiables et de stratégie
théorie du germe n’est pas jugée probante non de santé publique face à un fléau inédit.
plus que sa négation du caractère épidémique Pour parfaire son approche du phénomène et
du choléra ; ses conclusions paraissent rui- éclairer son action, il organisa des missions
neuses pour la médecine et la santé publique, médicales dans les pays où régnait le choléra
calamiteuses pour l’esprit public, et, disqualifiant espérant puiser dans les exemples étrangers
tous les moyens prophylactiques et curatifs, lais- des principes de conduite. Il y eut une émulation
sent l’Administration démunie face au mal. interministérielle dans la mise en place de ces
expéditions médicales.
3. Les missions médicales françaises à
l’étranger. Le ministre du commerce demande à l’Acadé-
mie de médecine de désigner une commission
L’intendant sanitaire de Marseille qui détenait un médicale à destination de la Pologne ; une délé-
grand nombre de bâtiments en quarantaine et gation dirigée par Londe et comprenant Allibert,
s’inquiétait de la situation et de la propagation Boudard, Dalmas, Dubled et Sandras est cons-
des germes, avait questionné l’Académie le 8 tituée le 19 mai. Elle quitte Paris le 12 juin 1831,
mars 1831. Kéraudren, président de la commis- arrive à Varsovie le 30 juin, traverse la Prusse,
sion compétente en matière de choléra, pose la observe le choléra à Berlin. Le rapport est clos
question préjudicielle : l’avis de la commission le 15 décembre, date de sa signature, et remis
reposera-t-il sur des bases contagionistes ou au ministre le 30 décembre.
non-contagionistes ? Ce dilemme devait obérer Une autre commission est envoyée en Russie :
les réflexions des académiciens, les condam- le docteur Augustin Gérardin, membre de l’Aca-
nant au blocage, à l’indécision épistémologique, démie de médecine, est désigné le 15 mai 1831;
au verbiage. il s’adjoint le naturaliste Gaimard et Hippolyte
Cloquet, médecin, qui sera contraint par la ma-
Le gouvernement veut une évaluation médicale ladie d’abandonner l’expédition. La délégation
du risque cholérique et un modus operandi face passe par Weimar où elle salue Goethe, Berlin
à l’épidémie qui ne cesse de se rapprocher. Le et Lübeck où elle se heurte aux mesures qua-
ministre de l’intérieur, Montalivet, saisit l’Acadé- rantenaires. Elle parvient en Russie au prix d’un
mie de médecine et sollicite un rapport nosolo- détour par le Danemark, la Suède, la Norvège et
gique sur le choléra, suivi d’une partie pratique, l’Esthonie (sic). Elle arrive le 10 août à Saint-
d’ordre prophylactique et curatif. La commission Pétersbourg ; Cloquet, malade, n’ira pas plus
ad hoc est aussitôt renforcée de plusieurs loin. Gérardin et Gaimard, observent les ravages
membres dont Desgenettes, Dupuytren, Itard. du choléra dans la flotte russe de Cronstadt,
Double, secrétaire, assume la rédaction. partent de Saint-Pétersbourg le 2 novembre, ar-
rivent le 21 à Berlin et en décembre à Vienne.
Se prononçant sur la nosologie (rapport d’août Au cours de leur périple, ils adressent régulière-
1831), l’Académie, sous la plume de Double, ment des lettres au ministre. Ils rendent compte
donnait une définition pour le moins sibylline du de leur mission le 3 avril 1832, en pleine période
choléra : « Une affection complexe, variée, cholérique.
bizarre, caractérisée par la diminution de À son tour le ministre de l’intérieur demande à
l’innervation générale liée à un état catharral l’Académie des sciences de désigner une
particulier ». équipe médicale pour la Pologne : sont volon-
Elle reconnaissait au choléra un caractère épi- taires Brierre de Boismont et Le Gallois qui par-
démique et non contagieux, mais n’en jugeait tiront finalement sous l’égide du comité polonais.
pas moins utiles les mesures de police sanitaire. Le gouvernement polonais lance un appel aux
Quant aux mesures prophylactiques et curatives médecins français : dans l’élan des Trois Glo-
(rapport de septembre 1831), elle professait un rieuses, Brierre, Scipion, Pinel, Foy, Delpech,
agnosticisme sans mélange : « Pas de règles, Malgaigne, Sédillot volent au secours de
pas de méthode générale, tout est livré pour l’héroïque Pologne écrasée par le despotisme
ainsi dire au caprice et au hasard ». oriental des Tsars.
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