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l’exode du fléau et sa course devenaient irréver- salubrité sont créés à l’initiative des maires et
sibles sinon irrésistibles. des sociétés médicales. À Paris, un arrêté con-
Une seconde pandémie partie du Bengale en joint du Préfet de la Seine et du Préfet de police
1826, diffusée et surmultipliée par les guerres (20 août 1831) institue dans la capitale une
russo-persanes, russo-turques et russo-polo- commission centrale de salubrité de 43
naises, franchit les portes de l’Europe. Dans les membres, 48 commissions de quartiers et 12
capitales, dans les chancelleries, on suivait an- commissions d’arrondissements intermédiaires
xieusement la marche inexorable du choléra, chargées de recueillir les informations des com-
devenu objet d’intérêt supranational et de coo- missions de quartiers, et d’assurer leur liaison
pération européenne médicale et scientifique, avec la commission centrale. Les cordons sani-
diplomatique, géostratégique, et catalyseur in- taires se déploient aux frontières des pays infec-
terne de conflits nationaux. Marche inexorable : tés, Allemagne et Angleterre. Une ordonnance
Kiev le 26 décembre 1830, Varsovie le 14 avril du 26 août rétablit l’arsenal sanitaire lourd
1831, Londres le 27 janvier 1832. (entrepôts-lazarets) dans les bureaux douaniers
de l’Est. Les transactions commerciales avec
1. 1831 : Préparatifs, mobilisation générale, l’Allemagne sont soumises à la discipline qua-
mesures sanitaires lourdes. rantenaire. Le courrier postal en provenance de
Belgique est soumis à de fastidieuses procé-
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À Paris la prévention s’organise . dures de désinfection.
Le gouvernement dispose de deux organes con-
sultatifs : 2. Un champion du contagionisme :
1°) l’Académie royale de médecine, héritière de Alexandre Moreau de Jonnès (1778-1870)
la Société royale de médecine (SRM), fondée en
1820 par Louis XVIII pour constituer un patri- Le rétablissement de mesures sanitaires
moine de science médicale et conseiller le lourdes n’était que la mise en œuvre de la légi-
gouvernement en matière de santé publique, slation de 1822 ; il s’inscrivait dans la mémoire
d’épidémies et d’épizooties. Dès le 25 janvier, sanitaire du pays et les habitus des pouvoirs pu-
l’Académie de médecine avait nommé une com- blics face aux épidémies, qui nous l’avons vu,
mission spécialisée dans l’étude du choléra, pouvaient se réclamer d’un expert, membre in-
présidée par Kéraudren, Chomel, Desportes et fluent du conseil supérieur de santé : Alexandre
Boissieu. Les contagionistes y sont minoritaires. Moreau de Jonnès. « Chargé depuis 13 ans,
2°) le conseil supérieur de santé du royaume, comme il l’écrit lui-même, en qualité de rappor-
institué par ordonnance du 1er avril 1822, après teur de la commission sanitaire centrale et du
l’épisode épidémique de Barcelone, dans le conseil supérieur de santé, de recueillir les faits
cadre d’une vaste législation de police sanitaire. qui peuvent faire connaître la nature du choléra
Il compte 22 membres dont Degérando, conseil- pestilentiel, sa marche, ses progrès et les
ler d’État, le chimiste Gay-Lussac, les médecins moyens de les arrêter », Moreau de Jonnès
Pariset, Kéraudren, contagionistes notoires, avait fourni huit rapports au conseil supérieur de
Marc, Dubois, Bally, Moreau de Jonnès théori- santé et lu dix mémoires à l’Académie des
cien du contagionisme. sciences dont il était correspondant depuis
1816, avant d’en devenir membre en 1849. À la
Le gouvernement s’employa à renforcer les me- demande du conseil supérieur de santé, il rédige
sures sanitaires existantes : une ordonnance du une synthèse de ses travaux sous le titre de
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16 août 1831 créait des intendances sanitaires Rapport sur le choléra-morbus pestilentiel .
dans 22 chefs-lieux de départements du nord,
de l’est et du sud-est, en première ligne de L’auteur mérite au moins quelques indications
l’invasion cholérique par terre ou par mer. Ce biographiques sommaires. Comme son contem-
renforcement des barrières répondait aux préco- porain Louis Garneray, peintre de marine et
nisations du conseil supérieur de santé, acquis inventeur du genre d’aventure maritime, il pos-
aux idées contagionistes. sède une âme d’aventurier et de corsaire. Mêlé
très jeune à la guerre révolutionnaire de Bre-
Le comte d’Argout, ministre du commerce et des tagne, il participe au siège de Toulon en même
travaux publics de qui dépendait la santé pu- temps qu’un certain capitaine Bonaparte. Tenté
blique, institue dans les chefs-lieux de départe- par le large, il embarque, devient officier d’état-
ments des commissions centrales de salubrité et major de marine, traverse plus de dix fois l’Atlan-
de santé publiques déclinées par des com- tique, connaît naufrages et abordages. Comme
missions d’arrondissement. Des conseils de Garneray, il est capturé par les Anglais et passe
10 Voir sur ce point P. Bourdelais et J-Y Raulot, op. cit. et DR DELAUNAY : Le corps médical et le choléra-morbus en
1832, extrait de Médecine internationale illustrée, oct. 1931-oct. 1933.
11 Titre complet : Alexandre MOREAU DE JONNÈS, Rapport au conseil supérieur de santé sur le choléra-morbus
pestilentiel , Paris, imprimerie De Cosson, 1831.
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