Page 4 - Lettre d'info n 26
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Jalons historiques face à l’Etat, dans la droite ligne des volontés
révolutionnaires et des textes de d’Allarde et de
Dans l’Ancien Régime, la protection des Le Chapelier de 1791.
individus face aux risques se faisait soit au Pourtant, le législateur se penche progres-
travers de la charité, organisée par l’Eglise au sivement sur la question du bien-être des
profit des pauvres et des orphelins notamment, travailleurs, sous la pression des milieux catho-
soit au travers des mécanismes des corpora- liques et des patrons humanistes. On peut citer
tions, qui permettaient le développement de la la loi du 9 avril 1898, qui renverse les
solidarité en cas de maladie, d’infirmité ou de dispositions précédentes : le salarié n’a plus à
veuvage. Les statuts des corporations étant prouver la faute de l’employeur pour engager sa
donnés par lettres patentes par le Roi, et la responsabilité en cas d’accident du travail. Il a
charité étant règlementée par les autorités désormais droit à une indemnisation forfaitaire.
royales en province, et la Chancellerie au ni- L’émergence de la protection sociale peut être
veau du royaume, on pourrait déjà voir ici une caractérisée par l’ingérence de plus en plus
sorte de « proto-protection » au niveau étatique. étendue de l’Etat dans le domaine de la
Cependant, il faut garder à l’esprit que nom- couverture du risque, au détriment de l’initiative
breux sont les exclus et les individus qui ne privée : on peut parler d’une généralisation pro-
bénéficient d’aucune aide. On ne peut donc pas gressive de la capacité de couverture rationae
parler de protection sociale, au sens d’une personae grâce à la compétence absolue de
protection de niveau étatique et s’appliquant à l’Etat en matière législative sur les individus. La
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tous de façon égale. loi du 1 avril 1898 sur les sociétés de secours
mutuel va permettre l’émergence de nombreux
La « protection sociale » commence à émerger organismes de droit privé sur lesquels les
au XIX ème siècle, avec notamment les systèmes patrons ne vont plus avoir le contrôle, par op-
de mutualité et d’assurance privée qui vont position aux structures qu’ils avaient commencé
permettre aux travailleurs, en échange d’une à mettre en place, comme la pratique du « sur-
cotisation, de voir certains aléas de leur vie salaire », sorte d’anticipation sur les allocations
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professionnelle couverts, et principalement les familiales . Cette époque marquera l’essor des
accidents du travail, hantise du travailleur organismes de mutualité et des sociétés de
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ouvrier . On pense aux premières retraites pour secours mutuels .
les ouvriers, dénoncées à l’époque comme une
vaste farce destinée à ponctionner un peu plus En 1910, les retraites ouvrières et paysannes
les maigres salaires des « prolétaires » au profit deviennent obligatoires. Puis le 1er juillet 1930
d’une retraite que la majorité d’entre eux ne est votée la loi sur les Assurances sociales : des
verront pas arriver, celle-ci étant prévue à 60 patrons crient au scandale, à la dépossession
ans alors que l’espérance de vie moyenne de de leurs initiatives. Selon eux, l’Etat vient s’ac-
l’ouvrier était de 45 ans en 1900 . Les diffé- caparer les initiatives privées, et ils percevront
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rentes initiatives patronales, telles celles d’E.J. la gestion paritaire de ces nouvelles Assurances
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Menier par exemple , n’ont pas eu de répercus- sociales comme une juste compensation . Sui-
sion au niveau national, et touchaient principale- vront les grandes ordonnances de 1945, issues
ment les employés qui travaillaient dans leurs du programme du Conseil national de la Résis-
usines : autrement dit, la couverture du risque tance, qui vont avoir pour objectif d’éviter les
n’était pas la préoccupation de tous, et était risques pouvant porter atteinte à la capacité de
laissée à certains entrepreneurs humanistes ou gain et de supporter les charges d’une famille.
à des « associations », des bourses du travail et L’objectif de ces ordonnances est d’étendre au
autres organisations clandestines destinées à maximum la couverture des risques aux
structurer la solidarité ouvrière et artisanale, et Français, et elles seront suivies par la loi du 22
ce malgré les interdictions et sanctions qui mai 1946, qui renforcera la capacité d’extension
planent sur leurs têtes. N’oublions pas qu’il fût de la couverture en rendant l’assujettissement
un temps pas si lointain où l’individu était seul aux assurances sociales obligatoire pour tous,
3 Une loi de 1898 vient renverser la charge de la preuve en cas d’accident du travail, qui incombait précédemment à
l’ouvrier en vertu des dispositions de l’article 1382 du Code civil.
4 https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/graphiques-cartes/graphiques-interpretes/esperance-vie-france/
Consulté le mardi 2 avril 2019
5 Emile-Justin MENIER, dit le Baron Cacao, était un industriel français ayant mis en place, dès 1876, des mesures
sociales pour assurer la subsistance de ses ouvriers. Son idée prit la forme d’une cité ouvrière composée de maisons
individuelles, avec des magasins adaptés aux besoins des travailleurs, une « maison de retraite », et dans laquelle étaient
dispensés éducation et soins.
6 B. DUCOS, Aux origines de la Sécurité Sociale : les assurances sociales dans la Haute-Garonne (1928-1936), Paris, 1985, p. 12
7 Ibid, p. 6
8 Ibid, pp. 18-19
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