Page 7 - Lettre d'information n°32
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Le grand progrès social, que constitue, au terme L’opposition qui se manifeste, notamment des
de vingt ans de discussions parlementaires, la organisations ouvrières, enterre le projet auquel
loi sur la réparation des accidents du travail de va se substituer la loi d’assistance du 14 juillet
1898 pour la protection des travailleurs, 1905 sur les vieillards infirmes et incurables.
s’articule avec une gouvernance libérale : les Toutefois, les réflexions évoluent lentement : la
employeurs choisissent leur organisme d’assu- commission d’assurance et de prévoyance
rance, lorsqu’ils ne restent pas leur propre sociale de la Chambre des députés adopte une
assureur, un fonds de garantie protégeant les résolution : « La Commission, considérant qu’il
salariés contre le risque d’insolvabilité du débi- est du devoir de la République d’instituer un
teur ; la loi du 31 mars 1905 prévoit que l’assu- service public de solidarité sociale, que la
reur est substitué à l’employeur comme débiteur solidarité diffère essentiellement de la charité en
direct de la victime. Toutefois, un corps étatique ce qu’elle reconnaît aux intéressés définis par la
de commissaires contrôleurs des assurances, loi un droit, et qu’elle leur donne un moyen idéal
rattaché au ministère du Travail dans un premier de la faire valoir, que le principe de la solidarité
temps, va être constitué. sociale inspire et commande deux formes
distinctes de réalisation : l’assurance et
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« Avec cette loi, un monde bascule […] Confron- l’assistance . ». Un second projet de loi sur les
tée à cette expérience neuve et singulière du retraites ouvrières et paysannes est présenté
mal qu’est l’accident, les hommes ont dû repen- dès 1905 au Parlement, abaissant l’âge de la
ser le principe de leur association, abandonner retraite envisagée de 65 à 60 ans, abandonnant
l’idée, pourtant si évidente, que la responsabilité l’idée d’une caisse unique pour ouvrir la gestion
ne peut être que la sanction d’une faute. Ils ont aux mutuelles et aux caisses patronales. Le
décidé d’un nouveau pacte social : la société Sénat résiste cependant jusqu’à ce que, après
n’étant qu’une vaste assurance contre les une nouvelle enquête, soit constatée la baisse
risques que provoque son propre développe- de l’hostilité au principe de l’obligation, ce qui
ment, c’est en s’organisant comme une assu- permet une adoption de la loi par le Sénat le
rance qu’elle rejoindrait sa propre vérité. J’ex- 22 mars 1910 et par la Chambre le 31 mars
prime cette rupture décisive par l’idée de la 1910 avant les élections législatives des 24 avril
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naissance d’une société assurantielle . » et 8 mai 1910.
1.4 Les « ROP », retraites ouvrières et Les cotisations exigées sont toutefois faibles. De
ce fait, les pensions ne peuvent que dépasser
paysannes 1910 faiblement les allocations d’assistance de la loi
du 14 juillet 1905. Cette loi est donc aussi une
L’élaboration de la loi sur les retraites ouvrières loi de compromis : elle assure seulement un
et paysannes du 5 avril 1910 est laborieuse et régime de protection minimale susceptible de
oppose les partisans d’une assurance volontaire relayer à terme l’assistance ; elle est aussi la
à ceux d’une assurance obligatoire. porte du développement d’une prévoyance com-
plémentaire libre et volontaire.
L’opposition initiale est forte et rassemble des
courants opposés, les libéraux et les partisans Après une victoire législative, elle capote pour
de la prévoyance libre et mutualiste, les salariés partie devant les restrictions de la Cour de cas-
qui ne souhaitent pas voir diminuer leur rémuné- sation (arrêt du 22 juin 1912) qui exonère l’em-
ration par un prélèvement pour le financement ployeur de toute responsabilité en cas de non-
d’une retraite dont ils doutent de bénéficier présentation par le salarié de sa carte d’assuré.
compte tenu de l’espérance de vie, les em- Sur 18 millions d’assurés attendus, on comptera
ployeurs qui sont hostiles à toutes charges 1,5 million d’affiliés à partir de 1915. Ce régime
sociales générales, l’État qui craint de devoir en capitalisation peut être géré par des orga-
participer au financement. Lorsque, au début du nismes divers : caisses mutualistes ou patro-
XX siècle, le Ministère Waldeck-Rousseau, nales, collectant les cotisations et prenant en
e
dans lequel Millerand est ministre du charge le service des retraites, ou Caisse natio-
Commerce, soumet à la Chambre des députés nale des retraites pour la vieillesse relevant de
un projet de retraites ouvrières fondées sur la Caisse des dépôts et consignations.
l’obligation, cette dernière adopte une résolution
invitant le Gouvernement à consulter les Telle est la situation au lendemain de la
associations professionnelles patronales et Première Guerre mondiale.
ouvrières, industrielles, commerciales et
agricoles ainsi que les chambres de commerce.
7 EWALD François, Op. cit., préface p. 10.
8 Citation donnée par HATZFELD Henri, Op. cit., p. 70.
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