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du notable  » (C. Topalov) , héritier des verreries   Conclusion de la première partie
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            de Baccarat, fondateur et mécène du Musée social,
            « anti-chambre de la Chambre » (1906). Son siège   La structure intellectuelle, sociale et politique du cou-
            de la rue Las Cases est le lieu neutre et ouvert d’in-  rant solidariste ne pouvait que heurter de front les
            formation, de publications, de science et d’expertise,   positions du théoricien de la violence, dont la doc-
            où se rencontrent  : ancienne  aristocratie  : le mar-  trine s’est construite au cours d’une longue  quête
            quis de Vogüé, le comte d’Haussonville (champion   intellectuelle poursuivie depuis 1892, par un rythme
            de l’orléanisme et de la cause catholique), le prince   spécialement élevé de publications, dans les revues
            d’Arenberg  ;  grands bourgeois et  banquiers  :  les   académiques et les revues militantes, en France et
            d’Eichtal, Rothschild, Lazard, Weill  ;  industriels  :   à l’étranger : plus de quatre cents articles entre 1892
            les Schneider, Siegfried  ; politiques  : Bourgeois,   et  1908.  Georges Sorel n’est  absent d’aucun sec-
            Millerand, Jaurès…                                 teur de la vie intellectuelle. Rien ne lui échappe de la
                                                               vie des idées. Il aborde le monde d’un regard ency-
            La réforme sociale et ses différents rameaux instau-  clopédique. Ses articles de critique le placent à la
            raient entre élites anciennes et élites nouvelles un   hauteur des contemporains qu’il critique , Bergson,
                                                                                                  109
            dialogue permanent sur la meilleure gouvernance et   Durkheim,  Renan, Brunetière, Fouillée,  William
            les concessions sociales  nécessaires  à la préven-  James… Il sait interroger le présent à la lumière des
            tion d’une révolution populaire.                   Anciens : Platon, Aristote.

                                                               Georges Sorel, constamment épistémologue,  ne
                                                               cesse de s’interroger sur l’histoire et la connaissance
                                                               historique, l’interprétation du marxisme, la religion et
                                                               l’évolution des dogmes, le déterminisme et la liberté,
                                                               l’esprit et la matière, le rôle de l’expérience dans la
                                                               constitution de la science, les fondements du droit
                                                               et la construction sociale du droit. Dans le consen-
                                                               sus matérialiste et positiviste de l’époque, il n’hésite
                                                               pas à se revendiquer  métaphysicien .  Le socia-
                                                                                                 110
                                                               lisme comme objet scientifique et praxis constitue
                                                               l’autre versant de sa pensée sans que sa pensée
                                                               soit divisée : pensée une et plurielle, mais exposée
                                                               à l’auto-contradiction, comme l’a bien caractérisée
                                                               Georges Goriely en intitulant son étude : « Le plu-
                                                               ralisme dramatique de Georges Sorel ». Il faudrait
                                                               rajouter aux écrits publics le continent à peine décou-
                                                               vert d’une immense correspondance ; sa participa-
                                                               tion aux débats du temps, notamment à la Société
                                                               française  de philosophie  ; ses échanges  avec les
                                                               représentants des lieux de savoir (l’École normale
                                                               supérieure) ; son assiduité aux cours du Collège de
                                                               France. On le voit même intriguer pour l’élection de
                                                               Bergson  à l’Académie  française. Sorel  n’est ni un
                                                               solitaire, ni un original, ni un marginal. Il est l’un des
                                                               acteurs européens de la vie intellectuelle si riche et
                                                               contrastée de cette fin de siècle ; mais si violente, et
                                                               par son extrémisme même favorable aux légendes
                                                               simplificatrices.






            108.  Sur la dimension des réseaux et la compétition des élites dans la réforme sociale, voir C. Topalov, « Patronages », in
            Laboratoires de nouveau siècle, Topalov C. dir., Paris, éditions de l’EHSS, 1999, pp. 357-390.
            109. G. Goriely observe, op. cit., p. 60 : « Nous n’hésitons pas cependant à dire que L’ancienne et la nouvelle métaphysique, les
            Préoccupations métaphysiques des physiciens modernes, et De l’utilité du pragmatisme pourraient situer le nom de Sorel aux côtés
            de ceux d’un Poincaré, d’un Duhem, d’un Meyerson. […] M. Yves Simon a fait une excellente analyse dans la Revue de Philosophie
            d’avril 1937 [15 ans après la mort de Sorel] de L’ancienne et la nouvelle Métaphysique. Cet auteur, lui-même néothomiste, ne
            semble pas connaître Sorel, le Sorel de la légende, ou du moins s’en tient-il strictement à la recension de cette œuvre. Selon
            lui « l’auteur paraît y retrouver clairement les exigences du rationalisme grec » ; et il conclut :  « La question de la prévision
            scientifique, en présence des nouveautés introduites dans la physique contemporaine, doit être reprise au point où en est resté
            Sorel. »
            110.  Il retourne en compliment l’apostrophe ironique décochée par Jaurès : « métaphysicien du syndicalisme ».

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