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rapidement.  Les agitateurs  sont jeunes . Ils     démissionnera  le  12  mars,  entraînant  un  change-
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            crient : « Vive la grève ! À bas la mouche ! »       ment de statut de la société. De société en comman-
            Pourquoi la grève ? Le motif économique n’est pas   dite, la société deviendra société anonyme. Le site
            évoqué,  mais la volonté  de former un syndicat.   connaît une période sans  direction, administré sur
            L’indiscipline  s’installe. Les mesures primaires de   la base  des structures administratives  existantes.
            protection des  mines contre  les inondations, les   Jacques de Bellefond souligne l’absentéisme patro-
            éboulements, les incendies, sont empêchées ; les   nal, symptôme de la prévalence des financiers sur
            réquisitions refusées. Un comité des grèves a pris   les industriels. La spéculation lointaine et abstraite
            le pouvoir, ménagé par les autorités. Des tentatives   l’emporte sur la proximité sociale et les réalités du
            de médiation  échouent, successivement portées     terrain. La dernière assemblée d’actionnaires  se
            par le juge de paix, le préfet, le député de Chalon.   tient le 15 septembre. Durant la vacance patronale,
            La Compagnie pose comme condition  préalable       Rouges  et  Jaunes  s’affrontent  physiquement.  Le
            la reprise du travail. Le 15  juin, sur la place de   5 août, les Rouges assiègent en masse une réunion
            l’église, un député socialiste harangue les ouvriers,   des Jaunes.  Le  préfet,  accouru sur  les lieux, est
            les exhorte à voter contre les patrons. Waldeck-   molesté. Mais il n’y a pas de répression. Les Rouges
            Rousseau, nouveau président du Conseil, fait pres-  triomphent,  défilent  sous  les  drapeaux  rouges,  au
            sion sur la Compagnie. Le Comité des Houillères    chant de la carmagnole  et de l’internationale.  Le
            incline  à la conciliation.  Le 29  juin, la Compagnie   15  octobre, un  directeur  est nommé, «  choix  d’un
            cède sur quatre revendications. Concession-capitu-  fonctionnaire du gouvernement ». Retour au calme.
            lation patronale. Victoire ouvrière marquée par une   Le 19 janvier 1901, une grève éclate à Sanvignes, ville
            manifestation  de 6  000 ouvriers, avec drapeaux   déclinante qui souffrait de l’attraction de Montceau.
            rouges et noirs, chants de la carmagnole et de l’in-  Les grévistes réclament un syndicat. Le 21 janvier,
            ternationale, crémation de l’effigie des patrons. Un   la grève se généralise. Elle atteint Chalon, paralyse
            syndicat ouvrier est en place, dit « rouge » .
                                                               toutes les industries de Chalon, mais fait long feu ; la
                                                               riposte patronale est immédiate : une cinquantaine
                                                               de meneurs sont arrêtés. « Les véritables causes
                                                               de la grève ne sont pas immédiates, elles sont les
                                                               mêmes qu’en  1899, avec cette aggravation  qu’en
                                                               1899 on s’attaquait plus particulièrement au patro-
                                                               nat et qu’en 1901 on s’attaque au corps social tout
                                                               entier. » Trois mille hommes de troupe débarquent
                                                               à Montceau. Les installations sont mises en sécurité
                                                               par les ingénieurs et les contremaîtres. Froid, rareté
                                                               des vivres exaspèrent la violence  de la grève. La
                                                               recherche de combustible occasionne des dépré-
                                                               dations, deux grévistes périssent accidentellement :
                                                               leurs obsèques donnent lieu à des cortèges, les
                                                               cercueils  ouverts sont portés à bout de bras, les
                                                               manifestants sont armés de fusils. Pour faire face
             Tableau de Jules Adler « le peintre des humbles »  à la pénurie, des soupes populaires  sont organi-
              La peinture du musée des beaux-arts de Pau représente un   sées. Les syndicats font appel aux dons. La lassi-
              cortège d’ouvriers lors de la célèbre journée de grève du 24   tude gagne. Les Jaunes, sous protection, décident
              septembre 1899 au Creusot.                                               er
              https://mba-pau.opacweb.fr/fr/la-greve-au-creusot-icone-du-  de reprendre le travail le 1  avril, entraînant 1 600
              monde-ouvrier                                    ouvriers. La grève s’achève  en mai. Dans sa der-
                                                               nière phase, elle aura duré 105 jours.
            Le 17  décembre, sous le nom de «  syndicat des
            corporations  ouvrières  », à l’instar du Creusot, un   Les  événements  de  Montceau-les-Mines  illustrent
            syndicat concurrent, dit  «  jaune  »,  est  créé  pour   la fin de la régulation ouvrière par le patronage, les
            défendre la liberté du travail, et  devient l’interlocu-  réticences des pouvoirs publics dans l’emploi de la
            teur  privilégié de la direction.  En  représailles, les   force, la montée en puissance du syndicalisme et la
            Rouges déclenchent une grève le 4 janvier 1900. Ils   multiplication des grèves. Comment relayer la poli-
            réclament notamment la réintégration des ouvriers   tique sans État du patronage en cette fin de siècle
            renvoyés et le paiement des jours de grève.        où la conscience ouvrière prend conscience d’elle-
                                                               même à travers la violence des répressions patro-
            Le gérant,  appelé au ministère, cède, et  la grève   nales et celle des grèves ?
            prend  fin  le  7  janvier.  Le  gérant,  sous  pression,






            93. Un exemple de débordement du syndicat par sa base.

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