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constants soucis de ceux qui ont assumé la lourde se trouve une des solutions de la question sociale. La
tâche de diriger les mines de Blanzy », les œuvres cité ouvrière comptait 1 200 logements de maisons
patronales prospèrent. Il avait fallu acclimater et séparées conçues pour deux ménages, entourées
former au travail des mines la main-d’œuvre locale, de jardins (1887). Jules Chagot favorisait l’accès à
d’origine paysanne. Précurseurs, les propriétaires la propriété par des concessions de terrain à prix
ont mis en place les institutions de prévoyance coûtant et des prêts sans intérêt, et un système de
couvrant les risques accidents, maladie, vieillesse. loyer-acquisition négociable auprès d’une banque
Depuis la loi du 29 juin 1894 relative aux caisses de populaire, « La Prudence », créée à cet effet. Un
secours et de retraite, les ouvriers mineurs bénéfi- tiers des ouvriers étaient devenus propriétaires.
ciaient d’une retraite financée à parts égales par une L’établissement industriel comportait des industries
cotisation patronale et salariale . annexes (tissage, vannerie, cartonnerie, verrerie)
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destinées à occuper les ouvriers âgés et les enfants.
« Les gouvernements n’ont fait que copier ce qui Un atelier de tissage mécanique de soie et coton-
était dû à l’initiative privée, si féconde dans sa nades occupait 600 ouvrières.
liberté, et ils n’ont réussi qu’à imprimer à ces institu- La direction encourageait le mouvement mutua-
tions ce cachet de servitude en décrétant pour tous liste (sociétés de secours, sociétés coopératives de
l’obligation de verser leur argent dans les caisses consommation) et les activités de loisirs (sociétés
de l’État comme si l’État avait seul le monopole de sportives et artistiques).
l’honnêteté. »
Rappelons que ce réseau complet de protection
Bellefond escamote sous cette boutade moralisante
un enjeu d’importance entre patronat et classe sociale ne pouvait émaner que d’une autorité privée,
ouvrière : le contrôle et la gestion des caisses. Les dans une perspective utilitariste et moralisante ; le
fonds d’épargne pouvaient n’être pas affectés à leur dogme libéral régnant interdisait toute initiative de ce
objet, les faillites d’entreprises pouvaient entraîner genre à l’État. La question sociale restait une affaire
celles des caisses et frustrer les cotisants de leurs privée, et la direction des communes, prolongement
droits. Des faillites retentissantes avaient mis en évi- de son action sociale, relevait de la compétence
dence la nécessité de sécuriser les versements de naturelle du patronat. Forts d’un vaste socle élec-
cotisation. Aussi une loi de 1895 a-t-elle créé l’obli- toral ouvrier, constamment réélus à une écrasante
gation de déposer les versements de cotisations majorité, des « gens d’ordre », gens d’« affaires »
ouvrières à la Caisse des dépôts et consignations et non politiciens, dirigeaient Montceau et les com-
ou dans des caisses agréées par l’administration. Il munes voisines : Blanzy, Saint-Vallier, Sanvignes.
est vrai que cette obligation était perçue comme une « Un patron n’a pas le droit de se désintéresser des
ingérence dans un système de protection sociale questions politiques ; son devoir est même de mon-
d’initiative exclusivement privée dans lequel le mot trer qu’il est là pour occuper dans son pays une place
« obligation » relève de l’outrage. prépondérante et pour y être écouté. Le patron n’a
pas qu’un rôle purement technique et administratif,
Les patrons des houillères comprennent l’intérêt il a surtout à remplir un rôle social. » Certes, des
de conserver la force de travail et de faire œuvre troubles s’étaient produits en 1878, provoquant la
philanthropique : ils fondent un hôpital comportant chute des patrons ; une Bande noire était appa-
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des salles d’opération et une pharmacie, desservis rue ; un attentat à la dynamite avait été commis
par des sœurs de Saint-Vincent de Paul, un service (1882) contre un édifice religieux. Mais les patrons
d’assistance à domicile qui emploie 18 religieuses avaient repris les mairies, constitué un syndicat de
servantes du Sacré-Cœur, un hospice pour vieillards soutien, créé un bureau spécial de recrutement et
de quarante places, construit au milieu d’un parc. un système de renseignement (« la mouche »), réta-
Chauffage et secours médicaux étaient gratuits. bli l’« union entre la population et ceux qui la font
Une quinzaine d’écoles, dont six écoles mater- vivre », restauré l’autorité, augmenté la production,
nelles, accueillent 6 000 enfants confiés à l’autorité assuré, loin des partis et des syndicats, une prospé-
d’un personnel congréganiste. À chaque école était rité et une paix sociale de vingt ans.
annexé un ouvroir. Le 6 juin 1899, à 6 heures 28 du matin, l’ingénieur ordi-
Un économat et une boulangerie satisfaisaient aux naire des mines de la circonscription alertait le pré-
besoins alimentaires de la population. fet : « La grève vient d’éclater au puits St-François. ».
La politique du logement était « soignée », car « c’est Les troubles commençaient à Montceau. Débrayage
bien en effet, dans la fondation stable du foyer » que de 700 ouvriers le 7 juin. Les troubles s’étendent
91. Le rapporteur de la commission chargée d’examiner la proposition de loi sur les retraites minières, le député Mazeron,
observait que l’objet de la loi s’imposait au législateur pour des motifs de justice, d’humanité autant que d’ordre public, « car il
n’était pas de grèves, parfois sanglantes, soulevées au cours des années antérieures dans les bassins miniers qui n’aient eu, avec
les questions de salaires, pour cause ou pour prétexte, l’insuffisance des caisses de secours et leur organisation défectueuse. »
La loi comporte deux titres principaux : 1) les pensions de retraite, 2) les sociétés de secours : maladie, incapacité de travail.
92. Affiliés anarchistes de groupes secrets, adeptes de la « propagande par le fait », opérant sur le site.
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