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1983) placèrent  Sorel au centre du tableau de
                                                               famille fasciste à la française, matrice intellectuelle
                                                               d’un mouvement européen (1890-1914) qui devait
                                                               triompher dans  les années trente.  Sorel devenait,
                                                               plus  qu’un  enjeu  idéologique, un enjeu  historique,
                                                               sinon d’épistémologie historique .
                                                                                           10
                                                               L’extinction des passions et le déclin des idéologies
                                                               désactivant le champ de la polémique qui capturait
                                                               l’œuvre sorélienne, ont favorisé son entrée dans
                                                               le champ de la recherche historique. La redécou-
                                                               verte de Sorel est datée  : le colloque  organisé  à
                                                               l’ENS de la rue d’Ulm du 13 au 15 mai 1983, par
                                                                                     11
                                                               Jacques et Claire Julliard . Une Société des études
                                                               soréliennes vit le jour, chargée  de la publication
                                                               des Cahiers Georges Sorel, puis de la revue  Mil
                                                               neuf cent : Revue d’histoire intellectuelle, dirigée de
                                                               1983 à 2016 par Jacques Julliard . La présentation
                                                                                            12
                                                               de la revue énonce les motifs de l’intérêt retrouvé
                                                               pour Sorel : « Pourquoi Sorel ? Parce que l’étude
                                                               de son œuvre et de son rayonnement nous apparaît
                                                               indispensable à une connaissance exacte du mou-
                                                               vement intellectuel, socialiste et ouvrier du tournant
                                                               du siècle. Georges Sorel fait authentiquement partie
                                                               de la culture dominée  à l’intérieur  du mouvement
                                                               ouvrier, celle qui s’apparente à la tradition du syndi-
                                                               calisme d’action directe. À ce titre, elle a été rejetée
                                                               dans l’ombre ou interprétée à contresens. »
                                                               Nous aborderons  Georges Sorel sous l’angle  peu
            Ayant longtemps oscillé  aux extrêmes, de gauche   évoqué en tant que tel, de l’anti-solidarisme : contem-
            à droite, de droite à gauche, le pendule  sorélien,   porain agressif et témoin à charge du solidarisme,
            à  mesure  qu’on redécouvrait  l’homme et  l’œuvre,   gardien  de l’identité ouvrière, tel qu’il  se montre
            s’est stabilisé. Pierre  Andreu écrivait  en 1953  la   notamment  dans  les  Réflexions  sur  la  violence,
            biographie  de Sorel. Georges  Goriely réalisait en   ouvrage phare, et, à ce titre, controversé ; ouvrage
            1964 la première synthèse doctrinale, mais limitait   qui a mérité à son auteur une gloire ambiguë, publié
            son étude aux années 1910. L’auteur, sensible aux   en 1908, grâce à  deux jeunes gens eux-mêmes
            préjugés de l’époque, décidait d’arrêter son exposé   acteurs de la «  réforme sociale  »  :  Daniel Halévy
            « au seuil des derniers remous de la pensée soré-  (1868-1966)  est  à  la pointe du mouvement des
            lienne. Il n’a guère été question du Sorel qui tenta   Universités  Populaires,  André  Spire  (1872-1962),
            un rapprochement  avec le nationalisme  intégral   alors auditeur au Conseil d’État, est à l’origine de
            (et dont essayera de s’emparer le fascisme), ni de   la Société des Visiteurs  des pauvres. Les deux
            celui qui poussa un cri final d’apologie pour Lénine,   hommes ont en commun la passion de la poésie et
            champion à ses yeux d’une cause désespérée ».      de l’action sociale. Ils collaborent à la revue Pages
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            Les apports de Pierre Andreu et de Georges Goriely,   libres, dirigée par Charles Guieysse, et aux Cahiers
            s’efforçaient  de  donner  une  image  équilibrée  de   de la Quinzaine de Péguy.
            Sorel. Leurs ouvrages pionniers,  malgré les avan-  Les deux revues partagent les mêmes locaux et la
            cées de la recherche, n’ont rien perdu de leur valeur.  même ligne éditoriale socialiste. Dreyfusards, socia-
            La polémique devint incendiaire au début de la     listes, républicains,  les deux hommes  seront de
            décennie  80. Successivement  Bernard-Henri  Lévy   tous les combats culturels, politiques et sociaux de
            (L’idéologie  française, 1981) et Zeev Sternell (Ni   l’entre-deux-guerres  (1870-1914).  Fils de Ludovic
            droite ni gauche. L’idéologie  fasciste en France,    Halévy,  académicien français,  frère d’Élie Halévy,
                                                               philosophe et historien, Daniel Halévy est issu de la

            9. Georges Goriely, Le pluralisme dramatique de Georges Sorel, Marcel Rivière et Cie, Paris, 1962, Postface, p. 223. L’ouvrage
            contient une bibliographie des écrits de Georges Sorel et des critiques les concernant.
            10. Parmi les nombreuses critiques de Z. Sternell, citons, parce que plus proches de notre objet :
            - J. Julliard, « Sur un fascisme imaginaire. À propos d’un livre de Zeev Sternhell ». Annales E S C, 1984, pp. 849-861.
            - Serge Bernstein, « La France des années trente, allergique au fascisme », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 1984, pp. 83-94.
            11. Les actes du colloque ont été publiés sous le titre : Georges Sorel en son temps, dir. Jacques Julliard et Shlomo Sand, Paris,
            Seuil,1985. Contient une bibliographie actualisée des écrits de Sorel par Shlomo Sand et Michel Prat.
            12. Christophe Prochasson a succédé à Jacques Julliard.

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