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haute bourgeoisie intellectuelle et artistique. André qui se développent autour de la machine » et pro-
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Spire appartient à la bourgeoisie industrielle lorraine. pose une « analyse du machinisme et de ses effets »
Dépassant les préjugés de classe, engagés concrè- comme fondement d’une science sociale, objective
tement dans les œuvres de la réforme sociale, ils et abstraite, et d’une anthropologie réaliste .
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ont été séduits par les articles de Sorel ayant pour fil
conducteur la violence publiés dans Le Mouvement Comment gérer l’héritage révolutionnaire, qu’en
socialiste d’Hubert Lagardelle. faire, en cette fin de siècle ?
Un certain jeudi 16 mai 1907, Daniel Halévy et André Le neutraliser pour mieux le nier : c’est l’affaire de la
Spire proposent à Georges Sorel de rassembler ses droite conservatrice-libérale et de ses organes phi-
articles en un volume qui deviendrait, pour le meil- lanthropiques et paternalistes ; l’adapter en lui ôtant
leur et pour le pire, les Réflexions sur la violence. le venin de la violence : tel est le projet du solida-
Le livre parut en 1908, non sans péripéties , aux risme multiforme, réformiste, mû par un impératif de
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Pages libres. Daniel Halévy saluait sa publication paix sociale et d’effacement de la lutte des classes.
en termes hyperboliques : « Le plus beau livre du À gauche, deux tendances, rivales sans merci, se
monde, le plus beau traité sur les mœurs qui nous disputent l’héritage révolutionnaire : un socialisme
ait été donné depuis des années. » Contre toute électoral, politique, lancé à la conquête de l’État ; un
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attente, le succès est immédiat. « Nous nous imagi- socialisme révolutionnaire, intrinsèquement ouvrier,
nions généreux, dira plus tard Daniel Halévy, nous retournant contre la bourgeoisie ses instruments
ne pûmes même pas garder cette illusion, car le de domination : la culture, la morale, la science, la
premier tirage fut vite épuisé, et nous repassâmes violence, tel est le projet de Sorel qui désigne dans
ce livre à Rivière. Mais notre geste avait suffi à sor- la réforme solidariste et le socialisme politique ses
tir Georges Sorel de la chapelle où jusqu’à présent pires ennemis. La violence ouvrière contre la force
nous l’avions écouté. » Georges Sorel élargissait répressive bourgeoise, dans l’horizon d’une libre
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son public, entrait dans la lice intellectuelle 1900. société de « producteurs », sans classes, sans État.
En qualifiant les Réflexions d’ouvrage de morale au Georges Sorel aurait deux dates de naissance : celle
sens classique, Daniel Halévy inaugurait un long de l’état civil, le 2 novembre 1847 à Cherbourg ; celle
conflit d’interprétation. Et pourtant, tel était l’avis de de sa conversion à la vie de l’esprit en août 1892,
l’auteur : « Je regarde la succession idéologique lorsqu’il met fin à sa carrière d’ingénieur en chef des
que ce siècle [le XVIII ] nous a laissée comme tout Ponts et Chaussées de 1 classe, en poste depuis
ère
e
à fait malheureuse ; mais je ne répudie pas du tout treize ans à Perpignan. Brusque rupture. Nouvelle
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celle du XVII siècle : Je compte mourir en classique vie. C’est ainsi qu’apparaît la biographie de Sorel .
e
impénitent. » Mais cette discontinuité n’est pas décisive. En scru-
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tant une vie de Sorel avant Sorel, nous tenterons
Sorel se donne pour un moraliste classique, certes, de découvrir l’origine de ses choix intellectuels et
mais un moraliste qui « cherche le principe fonda- sociaux.
mental de l’éthique dans les phénomènes humains

13. Comme en témoignent les « Lettres de Georges Sorel à Daniel Halévy (1907-1920) », publiées par Michel Prat, Mil neuf cent,
N°12, 1994, pp. 151-223.
Tel est l’avis d’Hubert Lagardelle dans une lettre à D. Halévy du 13 juin 1907 : « J’ai été très heureux de vous céder la réédition
des Réflexions sur la violence : je considère que l’essentiel c’est qu’elles paraissent à part et j’estime très heureuse votre initiative
en ce sens que vous allez mettre la pensée de Sorel en communication avec un public tout différent du nôtre. »
14. Daniel Halévy, « Les nouveaux aspects du socialisme », Pages libres, N° 457, 2 octobre 1909, p. 373.
15. Frédéric Lefèvre, « Une heure avec Daniel Halévy », Les Nouvelles littéraires, 20 février 1923.
16. C’est nous qui soulignons. « Lettres de Georges Sorel à Daniel Halévy », op. cit., lettre du 2 août 1908, p. 20.
17. G. Sorel, D’Aristote à Marx, Paris, Rivière, 1935, édition d’Édouard Berth, p. 261, cité par P. Andreu, Georges Sorel en son temps,
op. cit. p. 167.
18. « L’analyse du machinisme et de ses effets nous fournit les moyens dans tous les ordres d’idées, de passer des aperçus
subjectifs, personnels, grossiers, d’une philosophie livrée aux hasards, aux données objectives, sociales, abstraites, de la
science », ibid.
19. G. Goriely, op. cit., p. 8 : « Sorel a connu, à vrai dire, deux vies successives. »
P. Andreu, op. cit. p. 35 : « Il y a ainsi, dans la vie de Sorel, quarante-cinq ans de vie obscure, sur lesquels de maigres documents
ne jettent que d’intermittentes et fragiles lueurs. »

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