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I. L’ÉTAT PROVIDENCE SOUS LOUIS XVI




               La santé publique se situe à l’intersection d’une   Hobbes  connaît  l’Écriture  et  spécialement  les
               laïcisation  du  pouvoir,  de  la  nécessité  d’une   Épîtres pauliniennes. La réalisation de l’État est
               force de production économique, du calcul des    un fiat analogue à celui de la Genèse.
               probabilités et la quantification d’une réalité so-  On  reconnaît  dans  la  conception  hobbésienne
               ciale  nouvelle :  la  population.  L’affirmation  de   une sécularisation du corps mystique du Christ
               l’État  comme  machine  de  gouvernement,  les   qui transfère à l’État l’auréole du sacré et fonde
               règles d’une nouvelle économie politique, le dé-  sa transcendance. Le Monarque est Raison de
               ploiement  universel  du  calcul  des  probabilités   l’État  comme  le  Christ  est  le  Chef  (caput)  de
               inauguraient une ère du mesurable et de la pré-  l’Église, et le garant de son salut.
               vision qui rendait possible l’institution de l’État-
               Providence.

               A. L’HOMME ET L’ÉTAT


               L’Encyclopédie  à  laquelle  Turgot  collaborait
               occasionnellement, n’ignorait ni la vie ni l’œuvre
               de Hobbes, ami de Mersenne et adversaire de
               Descartes,  auquel  Diderot  consacra  l’article
               « Hobbisme » et dont il admirait le De cive et le
               Traité de la nature humaine traduit par le baron
               d’Holbach en 1772.

               Hobbes distingue les corps naturels, soumis à la
               loi de nature, c’est-à-dire une quasi anomie, et
               le corps qui résulte des contrats et de l’affectio
               societatis  qu’il  appelle  État  ou  société  civile
               pacifiée  par  les  lois  et  personnifiée  par  le
               Monarque,  maître  des  lois  et  Chef  du  corps
               politique.  « En  tout  État,  cet  homme  ou  cette
               assemblée à la volonté de qui les individus ont
               assujetti  la  leur  est  dit  détenir  le  POUVOIR
               SUPRÊME,  la  SOUVERAINETÉ  ou  encore  le
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               POUVOIR DE DOMINATION . » L’État est une
               personne  singulière,  l’artefact  qui  permet  la
               sortie de l’état de nature et l’assomption dans un
               seul de la volonté de tous.                      Encyclopédie de Diderot, 1751 (« Source gallica.bnf.fr /BnF »)

               La  métaphore  du  corps  naturel  transformé  et   Rousseau reprend la même métaphore. La pre-
               ainsi élevé à la vie civile inaugure le Léviathan :   mière  version  du  « Contract  social »  porte  sur
               « L’Homme  peut  faire  un  Animal  Artificiel. »   les  notions  de  corps  social  et  définit  le  pacte
               - « C’est bien un ouvrage de l’Art qu’on appelle   social : « Chacun de nous met  en commun sa
               CHOSE PUBLIQUE ou ÉTAT, en latin CIVITAS,        volonté, ses biens, sa force et sa personne sous
               et qui n’est rien d’autre qu’un Homme Artificiel   la direction de la volonté générale et nous rece-
               quoique  d’une  taille  beaucoup  plus  élevée  et   vons tous en corps chaque membre comme par-
               d’une force beaucoup plus grande que l’homme     tie inaliénable du tout », formule qu’il corrigera :
               Naturel pour la protection et la défense duquel il   « comme partie indivisible du tout. » Le contrat
               a été imaginé […] La Concorde est sa Santé, la   social génère un corps moral collectif auquel il
               Sédition  sa  maladie  et  la  guerre  Civile  sa   imprime  « son  unité,  son  moi,  sa  vie  et  sa
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               Mort . »                                         volonté ».


               3  Thomas HOBBES, De la nature humaine, « C’est un livre à lire et à commenter toute sa vie. » (Lettre de Diderot à
               Sophie Volland). Pour Cabanis, attentif à la formation et à l’enchaînement des idées, Hobbes « offre une précision de
               langage que peut-être aucun écrivain n’a jamais égalé ». Rapports du physique et du moral de l’homme, vol. 1, p. 37. En
               revanche Diderot et Cabanis sont d’accord pour condamner la politique hobbésienne. Nous citons la traduction de P.
               Grignon, Garnier-Flammarion, 2010, p. 163. Les majuscules sont celles du texte original.
               4  Trad. R Anthony, éd. Marcel Giard et Cie, Paris, 1921.


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