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de près ou à certaine distance, communicable d’opposer à la marche envahissante du fléau
par les émanations cholériques à ceux qui les venant d’Orient des barrières infranchissables
subissent de près ou de loin dans certaines con- sur les routes qu’il a choisies pour pénétrer en
ditions données » (p. 123). À propos du choléra Europe » . Des postes sanitaires permanents,
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de 1854, sur 97 rapports énonçant un avis sur la des écoles de médecine furent implantés à
question litigieuse, 61 admettaient la transmissi- Smyrne, Beyrouth, Alexandrie, Damas, Cons-
bilité. Les épidémies de choléra surgies au tantinople, Le Caire. La veille sanitaire et la lutte
Proche-Orient justifiaient « de grandes mesures contre les épidémies s’organisaient sur leurs
d’hygiène internationale capables de prévenir sites d’origine. Les contrôles sanitaires mari-
des invasions nouvelles ». times furent désormais effectués en amont,
dans les ports de départ, et la surveillance main-
11. L’internationalisation de la lutte contre le tenue pendant les traversées. À partir de 1877,
choléra. les acquis de la révolution pasteurienne ache-
vaient de transformer le contrôle international
Les épidémies de choléra devaient se succé- des épidémies.
der : 1849, 1854, 1865, 1870 … ****
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La défense sanitaire terrestre par les cordons Le choléra qu’on ne pouvait penser hors de son
sanitaires, et côtière par les lazarets et les contexte politique était apparu comme une
« séquestrations quarantenaires », cet arsenal maladie sociale autant que médicale. Les Trois
formidable apparaissait singulièrement désuet Glorieuses présentaient l’aspect d’une fausse
contre les invasions du « triptyque morbi- tranquillité, un ordre instable, une inquiétude des
fique » . La marine à vapeur avait accéléré le esprits dont le romantisme révélait l’ampleur. Le
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temps ; les conquêtes coloniales instauraient de siècle était dysharmonieux : une bourgeoisie qui
nouvelles relations maritimes, nombreuses, érigeait en vertus cardinales le travail et le gain,
rapides et fréquentes avec les zones à risques. qui supposaient un ordre établi et défendu ; des
L’âge de la stratégie statique et contraignante mages romantiques épris de chimères, de rêve-
était révolu. Il fallait agir au plus près des épidé- ries, d’idéal et d’infini ; une jeunesse instruite
mies, se transporter sur leur lieu de naissance, sans avenir (les capacités), qui participerait à la
les combattre à leur apparition. Clovis Prus révolution suivante ; des parasites, artistes
(1793-1857), médecin militaire, proposa, en bohèmes et dandys ; des utopistes sociaux
1847, la création d’un corps spécial, les méde- nourrissant un espoir révolutionnaire. Il conve-
cins sanitaires du Levant. L’hygiène devenait un nait de stabiliser la société et de canaliser dans
enjeu européen décliné en conférences interna- le réalisme du « juste milieu » les ambitions et
tionales sous l’impulsion des docteurs Sulpice les talents. Plus que jamais se faisait sentir le
Fauvel (1813-1884) et Adrien Proust (1834- besoin de consolider les normes de la raison
1903) , et du diplomate Camille Barrère . pratique et de la vie sociale, d’ériger des garde-
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« Nous allons au-devant du danger jusqu’au fous contre toutes les déraisons et tous les
foyer primitif de la maladie et nous essayons irréalismes.
31 En 1870, le choléra décima une partie de l’armée impériale. Pourtant en 1854, Snow, à Londres, démontrait, sur la
base d’un travail topographique et statistique exhaustif, l’origine hydrique du choléra dont, la même année, Pacini isolait
l’agent pathogène sous le nom de vibrio cholerae, trente ans avant Koch.
32 Fièvre jaune, peste, choléra.
33 C’est l’occasion de rappeler le rôle capital d’Adrien Proust, père de Marcel, dans l’hygiène française, en interne et au
plan international. Né à Illiers en 1834. Accomplit des missions sur le terrain à travers la Russie et la Perse, qui sont de
véritables aventures, où il observe la prophylaxie des épidémies. Enquête sur les rives du canal de Suez, route des
épidémies en provenance de l’Inde et de La Mecque. Hygiéniste pasteurien. Membre du comité Consultatif d’hygiène
de France, de l’Académie de médecine. Adjoint et successeur de Fauvel l’initiateur des conférences sanitaires
internationales. Adrien Proust est l’auteur d’un Essai sur l’Hygiène internationale. Ses applications contre la peste,
la fièvre jaune, et le choléra asiatique Paris, Masson, 1873. Ouvrage riche en définitions. Contient en note une
,
description détaillée du pèlerinage à La Mecque. A. Proust s’y montre contagioniste. « Le choléra est importé ; il s’attache
aux pas des voyageurs ». Négociateur hors pair, âme des conférences internationales. Son adjoint est Brouardel. Adrien
Proust meurt au cours de la conférence internationale de Paris de 1903 qui aboutit à la création de l’Office international
d’Hygiène publique dont le siège serait à Paris. Le gouvernement lui fit des obsèques quasi nationales. En 1892 il avait
défendu en qualité de commissaire du gouvernement un projet de loi relatif au tout-à-l’égout dans la capitale ; il était
l’un des promoteurs de la loi sur la santé publique de 1902. Il était le coauteur d’un traité d’hygiène où on peut lire
(pensait-il à Marcel ?) : « La neurasthénie est la regrettable rançon de la paresse et de l’inutilité ».
34 Académie nationale de médecine, séance du 22 mars 2011 : communication de Bernard HILLEMAND, Rénovation de la
prévention des épidémies au XIXe siècle. Rôle majeur de ses pionniers et novateurs de l’Académie de médecine injustement oubliés.
35 Fauvel, cité par Bernard Hillemand, communication citée note supra.
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