Page 38 - lettre_crhssmp_29l
P. 38

Au  contraire  du  médecin  de  laboratoire  selon   Les médecins partagent avec les petits proprié-
               Claude Bernard, il n’est ni « sourd aux cris », ni   taires,  les  travailleurs  indépendants,  les  com-
               « aveugle au sang ».                             merçants,  une  même  conception  individualiste
               Ce médecin fait sa place dans cette société qui   de  la  société,  spontanée,  simple,  vivante,
               juge  chacun  selon  ses  mérites,  lesquels  n’ont   exempte  de  bureaucratie.  Les  vraies  valeurs
               rien d’héroïque, et selon des valeurs pratiques   sont le droit de propriété et la libre entreprise. Ils
               qu’elle estime solides, et qui entend n’être pas   ont peur de l’État, ce Léviathan aux pouvoirs illi-
               dérangée dans la jouissance de ses biens dure-   mités,  dont,  journellement,  ils  endurent  la  bu-
               ment gagnés. Si elle se refuse à admettre que    reaucratie, contre lequel ils doivent, pied à pied,
               les  secours  sont  une  dette  sacrée,  elle  a  une   défendre leurs libertés, leurs gains .
                                                                                               74
               conscience vive  que les droits de  l’homme en
               société  sont  la  liberté,  l’égalité,  la  sûreté,  la   Le tiers-état médical devait continuer ses com-
               propriété.  L’habitus  révolutionnaire  du  petit   bats, tantôt s’appuyant sur le bâton d’Esculape,
               bourgeois  individualiste,  du  libre  entrepreneur,   tantôt  brandissant  le  caducée  d’Hermès. Avec
               maître chez lui, jaloux de sa liberté et des fruits   succès,  lorsqu’il  obtient  la  transformation  d’un
               de son travail, aspirant à l’autarcie, a retrouvé   système de défense de ses intérêts profession-
               une  nouvelle  vigueur  dans  «  les  nouvelles   nels  -  la  «  charte  professionnelle  »  -,  en  prin-
               couches  sociales  »  qui  ont  remplacé  les  no-  cipes déontologiques. Pendant plus d’un demi-
               tables.                                          siècle  on  le  retrouvera  combatif,  au  coude  à
               Le titre de médecin, si coûteux pour les familles,   coude avec les commerçants et les agriculteurs,
               si pénible à obtenir, si difficile à exercer, n’est-il   dans sa lutte contre ses ennemis naturels, à sa
               pas à la fois titre de propriété et droit d’exploita-  façon « citoyen contre les pouvoirs » aux prises
               tion ?  Ne transforme-t-il pas son titulaire en en-  successivement avec les assurances sociales et
               trepreneur, en travailleur indépendant ?         la sécurité sociale.



















































               74  Cf sur cet aspect sociologique les développements de H. HATZFELD, Du paupérisme à la Sécurité sociale 1850-
               1940, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2004, notamment pp. 283-294.


                                                            38
   33   34   35   36   37   38   39   40