Page 34 - lettre_crhssmp_29l
P. 34

quantum du paiement à l’acte ; le médecin ap-    auquel la société confie le soin de sa santé […]
               précie librement le montant de ses honoraires.   La loi s’est préoccupée de ces deux intérêts,
               Une convention entre le médecin et son patient   qui ne sont contradictoires qu’en apparence,
               est  licite.  Dérogation  au  paiement  direct,  un   car nous vous montrerons que si la protec-
               patron  est  garant  des  frais  médicaux  en  cas   tion  de  l’exercice  de  la  médecine  devient
               d’accident du travail survenu à ses ouvriers ; de   insuffisante,  la  santé  publique  est  en
                                                                        69
               même la commune au titre des soins prodigués     danger » .
               aux  indigents.  Vieille  pomme  de  discorde,  les   Brouardel  insiste  sur  le  lien  quasi-contractuel
               expertises requises par la justice : obligatoires,   noué  entre  la  médecine  libérale  et  l’État,  le
               mal rémunérées, techniquement risquées, dan-     monopole  médical  et  la  santé  publique.  La  loi
               gereuses  pour  le  prestige,  subies  comme  une   transfère  aux  médecins  l’appréciation  des
               corvée féodale, humiliantes en un mot. De ce fait   conditions de salubrité publique et les charge de
               dans  l’Aveyron  les  médecins  coalisés,  avaient   « dévoiler à l’autorité sanitaire les circonstances
               su résister aux demandes de la justice et para-  qui font courir un danger à la santé de la collec-
               lysé  l’action  d’un  juge  d’instruction  en  1889   tivité,  de  la  famille  ou  de  l’individu ».  Ce  lien
               (« scandale de Rodez »). Les actes de méde-      nous apparaît bien ténu, sinon artificiel, et sans
               cine  légale,  revalorisés,  seront  dévolus  à  un   rapport avec l’hygiénisme qui s’était donné pour
               corps  spécialisé  de  docteurs  en  médecine  qui   objet  la  santé  publique,  et  dont  la  mission
               restent  détenteurs  du  monopole  de  l’expertise   semble vouée à s’éteindre.
               judiciaire.                                      Brouardel n’insiste pas moins sur la répression
               Il est un domaine où les médecins ne parvinrent   de l’exercice illégal qui protège le « rang social »
               pas  à  s’affranchir  du  contrôle  des  juges  en   du médecin et justifie la garantie de ses intérêts
               matière professionnelle. Leur demande relative   matériels. Les intérêts de la société et ceux des
               la constitution d’un ordre professionnel propre à   médecins sont solidaires. Si la société venait à
               assurer leur cohésion et à régler leurs différends   les  méconnaître,  elle  devra  se  demander  « si
               fut rejetée, et ne devait être accordée que par le   elle  n’a  pas  sa  part  de  responsabilité  dans
               Gouvernement de Vichy.                           l’effondrement  de  l’homme  qu’elle  aurait  dû
                                                                soutenir, qu’elle a délaissé et qui s’est vu, dans
               E.   INSTITUTION      D’UNE    MÉDECINE          un  moment  d’égarement,  contraint  de  prêter
                                                                                            70
               OFFICIELLE                                       l’oreille à la malasuada fames » .

               La  loi  du  30 novembre  1892  organise  les
               rapports de la médecine et de l’État.
               Peut-être pourrait-on parler d’un compromis en
               échange  du  monopole,  voire  d’un  contrat :
               délégation de la santé publique à la médecine
               libérale.  Les  médecins  n’ont  pas  obtenu  le
               ministère de la santé où ils rêvaient de régner en
               maîtres. Mais ils ont préempté l’hygiène laissée
               à la merci des maires et des préfets en cet âge
               d’or  des  collectivités  locales  qui  s’administrent
               librement, au lendemain de cette révolution des
               mairies  qui  marquait  la  suprématie  d’élus
               allergiques  aux  fonctionnaires  et  aux  entraves
               de la réglementation. Le commentaire de Paul
               Brouardel,  l’un  des  meilleurs  connaisseurs
               d’une loi qui est partiellement son œuvre, dans
               son Cours de médecine légale (1899), conforte
               l’hypothèse d’un contrat synallagmatique entre
               l’État  et  la  médecine  libérale  qui  cumule  et
               confond,  dans  son  monopole,  soin  aux
               particuliers et santé publique :
               « La base de la discussion parlementaire était,
               suivant moi, celle-ci : d’une part et en première
               ligne,  les  intérêts  de  la  société  qui  veut  être
               protégée dans sa généralité et dans chacun de
               ses  membres  contre  la  maladie ;  en  seconde
               ligne se trouvaient les intérêts du corps médical   Source : gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France

               69  P. BROUARDEL, L’exercice de la médecine et le charlatanisme, Paris, Baillière et fils, 1899, p 8.
               70  « La faim, mauvaise conseillère. »


                                                            34
   29   30   31   32   33   34   35   36   37   38   39