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quantum du paiement à l’acte ; le médecin ap- auquel la société confie le soin de sa santé […]
précie librement le montant de ses honoraires. La loi s’est préoccupée de ces deux intérêts,
Une convention entre le médecin et son patient qui ne sont contradictoires qu’en apparence,
est licite. Dérogation au paiement direct, un car nous vous montrerons que si la protec-
patron est garant des frais médicaux en cas tion de l’exercice de la médecine devient
d’accident du travail survenu à ses ouvriers ; de insuffisante, la santé publique est en
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même la commune au titre des soins prodigués danger » .
aux indigents. Vieille pomme de discorde, les Brouardel insiste sur le lien quasi-contractuel
expertises requises par la justice : obligatoires, noué entre la médecine libérale et l’État, le
mal rémunérées, techniquement risquées, dan- monopole médical et la santé publique. La loi
gereuses pour le prestige, subies comme une transfère aux médecins l’appréciation des
corvée féodale, humiliantes en un mot. De ce fait conditions de salubrité publique et les charge de
dans l’Aveyron les médecins coalisés, avaient « dévoiler à l’autorité sanitaire les circonstances
su résister aux demandes de la justice et para- qui font courir un danger à la santé de la collec-
lysé l’action d’un juge d’instruction en 1889 tivité, de la famille ou de l’individu ». Ce lien
(« scandale de Rodez »). Les actes de méde- nous apparaît bien ténu, sinon artificiel, et sans
cine légale, revalorisés, seront dévolus à un rapport avec l’hygiénisme qui s’était donné pour
corps spécialisé de docteurs en médecine qui objet la santé publique, et dont la mission
restent détenteurs du monopole de l’expertise semble vouée à s’éteindre.
judiciaire. Brouardel n’insiste pas moins sur la répression
Il est un domaine où les médecins ne parvinrent de l’exercice illégal qui protège le « rang social »
pas à s’affranchir du contrôle des juges en du médecin et justifie la garantie de ses intérêts
matière professionnelle. Leur demande relative matériels. Les intérêts de la société et ceux des
la constitution d’un ordre professionnel propre à médecins sont solidaires. Si la société venait à
assurer leur cohésion et à régler leurs différends les méconnaître, elle devra se demander « si
fut rejetée, et ne devait être accordée que par le elle n’a pas sa part de responsabilité dans
Gouvernement de Vichy. l’effondrement de l’homme qu’elle aurait dû
soutenir, qu’elle a délaissé et qui s’est vu, dans
E. INSTITUTION D’UNE MÉDECINE un moment d’égarement, contraint de prêter
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OFFICIELLE l’oreille à la malasuada fames » .
La loi du 30 novembre 1892 organise les
rapports de la médecine et de l’État.
Peut-être pourrait-on parler d’un compromis en
échange du monopole, voire d’un contrat :
délégation de la santé publique à la médecine
libérale. Les médecins n’ont pas obtenu le
ministère de la santé où ils rêvaient de régner en
maîtres. Mais ils ont préempté l’hygiène laissée
à la merci des maires et des préfets en cet âge
d’or des collectivités locales qui s’administrent
librement, au lendemain de cette révolution des
mairies qui marquait la suprématie d’élus
allergiques aux fonctionnaires et aux entraves
de la réglementation. Le commentaire de Paul
Brouardel, l’un des meilleurs connaisseurs
d’une loi qui est partiellement son œuvre, dans
son Cours de médecine légale (1899), conforte
l’hypothèse d’un contrat synallagmatique entre
l’État et la médecine libérale qui cumule et
confond, dans son monopole, soin aux
particuliers et santé publique :
« La base de la discussion parlementaire était,
suivant moi, celle-ci : d’une part et en première
ligne, les intérêts de la société qui veut être
protégée dans sa généralité et dans chacun de
ses membres contre la maladie ; en seconde
ligne se trouvaient les intérêts du corps médical Source : gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
69 P. BROUARDEL, L’exercice de la médecine et le charlatanisme, Paris, Baillière et fils, 1899, p 8.
70 « La faim, mauvaise conseillère. »
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