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Fin des notables. Les « couches nouvelles » Médecins, députés et sénateurs forment une
s’emparent des quatre cent mille places que les commission interparlementaire qui va se com-
notables abandonnent. Maires, adjoints, délé- porter comme un lobby relayant les aspirations
gués communaux, les médecins sont à pied corporatistes et les revendications de la base.
d’œuvre dans tous les secteurs : hygiène,
sécurité et salubrité des usines, protection de En 1880 la question d’un organe officiel de
l’enfance, soins aux indigents, campagnes de représentation et de défense des intérêts profes-
vaccinations, développement des sociétés spor- sionnels agite la profession médicale. En 1881
tives… se créent, dans la plus complète illégalité, les
premiers syndicats médicaux. En 1884, rompant
La démission de Mac Mahon, l’élection de Grévy avec l’AGMF, le Concours médical, sous la con-
ouvrent une ère nouvelle. Républicains conser- duite de son fondateur Cézilly, ancien chirurgien
vateurs, les médecins de ville, hommes de auxiliaire de la marine devenu homme de
science et de progrès, s’intègrent dans une presse, lance l’Union des syndicats médicaux
gauche opportuniste et un radicalisme raison- (USM). Mouvement radical, provincial, émané
nable. Leur idéologie politique est en osmose de la base, le syndicalisme médical entend
avec leur idéologie professionnelle. organiser une position commune des médecins
face à leurs multiples interlocuteurs institution-
Dans les coulisses du pouvoir les médecins nels : administrations, mutuelles, sociétés in-
occupent des points stratégiques comme la dustrielles, compagnies d’assurances…
Société française d’hygiène, la Société de mé-
decine publique et d’hygiène professionnelle, la Revendication statutaire et économique sont
Société protectrice de l’enfance… Ils sont actifs liées : il faut organiser la résistance économique
dans la franc-maçonnerie, « laboratoire de plu- pour que la profession ne devienne pas un
sieurs lois importantes, et armature idéologique métier ; il faut vivre de l’honoraire et non pour
du régime nouveau » (J. Léonard). Ils s’illustrent l’honoraire ! La défense des intérêts écono-
dans les hauts grades maçonniques : Henri miques efface l’image d’Épinal du médecin des
Thulié, grand maître du Grand-Orient de France pauvres, du saint laïc, du médecin philanthrope,
est un spécialiste de l’enfance abandonnée ; qui entretenait le lustre des médecins bourgeois.
autre grand maître, Antoine Blatin est hygiéniste La médecine n’est ni un sacerdoce ni un métier.
et milite pour l’incinération. Paul Bert, « incar- En 1892 l’USM comptera plus de 200 syndicats
nation de la philosophie maçonne » devient et 3 500 praticiens syndiqués, soit 20 % de la
ministre de l’Instruction publique. Émile Combes profession.
sera le premier médecin président du Conseil.
Mais le syntagme syndicalisme médical n’est-il
Le suffrage universel envoie au Parlement son pas auto-contradictoire ? Les médecins de
contingent stable de médecins : 10 % de l’ef- l’USM se prévalaient de la loi du 21 mars 1884
fectif de la Chambre des députés entre 1880 relative à la création des syndicats profession-
et 1900. À partir des années 1880, le nombre de nels. Quels sont les intérêts communs d’ordre
médecins sénateurs, anciens députés, ne cesse économique à défendre, et comment se distin-
d’augmenter : 35 médecins pour la législature guent-ils des intérêts agricoles, industriels et
1891-1894, majoritairement opportunistes et commerciaux ?
radicaux. Parmi eux : Un arrêt de cassation du 27 juin 1885, instaurant
- le pastorien Charles Chamberland, second une coupure entre activité libérale et activité
directeur de l’institut Pasteur après Duclaux, élu commerciale, refuse toute assimilation et dénie
du Jura (1885-1889) ; aux médecins le droit de se constituer en asso-
- Odilon Lannelongue, ami de Gambetta, son ciations syndicales et, en conséquence, celui
médecin personnel, professeur de chirurgie aux d’ester en justice.
facultés de Lille, élu de Condom ;
- Théophile Roussel, sénateur de la Lozère, Le Concours médical repart à l’offensive contre
membre de l’Académie de médecine, rapporteur la loi de Ventôse an XI et mobilise ses troupes.
d’une loi contre l’alcoolisme (1873), promoteur Une commission du Concours travaille étroite-
de la protection de l’enfance (1874) ; ment avec le docteur Antoine Chevandier (1822-
- Victor Cornil, pasteurien, ami de Gambetta, 1893), parlementaire persévérant, qui dépose
membre, lui aussi de l’Académie de médecine, sa quatrième proposition de loi.
histologiste, anatomo-pathologiste, professeur à
la Faculté de médecine de Paris, associé à
toutes les lois médico-sociales ;
- Antoine Chevandier, sénateur de la Drôme, au-
teur de plusieurs propositions de loi supprimant
l’officiat de santé et réprimant l’exercice illégal.
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