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notions empruntées au droit romain : l’adoption d’inéquité aux dépens des propriétaires, devait,
et la clientèle. « Aujourd’hui [...] nous voulons malgré les critiques, survivre jusqu’à la grande
connaître ceux qui souffrent pour leur continuer charte sanitaire du 15 janvier 1903.
notre aide jusque dans leurs caves et sous leurs Entre-temps la loi municipale du 5 avril 1884
combles, notre charité a pris la figure d’un acte avait considérablement musclé les compé-
d’adoption, elle s’est fait une clientèle perpé- tences de police des maires. Leur était dévolu
tuelle de misérables, de leurs femmes, de leurs (art. 97, 6°) « le soin de prévenir par des précau-
enfants ». Le solidarisme original du docteur Du tions convenables, et celui de faire cesser, par
Mesnil perçoit un danger social imminent qu’il la distribution des secours nécessaires, les acci-
est urgent de prévenir : « Ce n’est pas de la dents et les fléaux calamiteux, tels que les in-
vertu, c’est de l’héroïsme qu’il faudrait à tout ce cendies, les inondations, les maladies épidé-
monde pour ne pas contracter dans ces bouges miques ou contagieuses, les épizooties, en
la haine de la société qui les tolère ». Son préfa- provoquant, s’il y a lieu, l’intervention de l’auto-
cier, Jules Simon, n’est pas moins dramatique : rité supérieure ». Pour ce faire les maires dispo-
les « réclamants », c’est-à-dire les propriétaires sent d’un recueil d’instructions émanant du
procéduriers, sont « les porte-parole de la Comité consultatif d’Hygiène de France. Suivant
mort », des empoisonneurs sollicitant le délai la gravité de l’épidémie, se met en place une
nécessaire à l’écoulement de leurs stocks. chaîne ascendante de responsabilités dont le
premier maillon est le maire, et, dans l’ordre
La santé publique se heurte aux murs de la pro- hiérarchique, le sous-préfet, le préfet, le ministre
priété privée. Du Mesnil retrace deux séances de l’intérieur, et retour. La mesure de police sa-
de l’Académie des Sciences morales, en 1882 nitaire de premier niveau, celle du maire, con-
et1884, où à l’occasion de ses écrits, se sont siste à isoler la maison infectée. Les épidémies
affrontés d’une part, les réformateurs (Jules ne sont maîtrisables que par la contrainte. L’an-
Simon, Jules Siegfried, Georges Picot, Charles tique arsenal mis à jour par Louis XVIII n’a rien
Dietz-Monnin), promoteurs d’une association perdu de sa vigueur. Il se renouvelle. La préven-
encourageant l’habitat à bon marché, deman- tion reste l’affaire de l’exécutif.
deurs d’une véritable politique de salubrité pu-
blique et d’autre part, les libéraux (Paul Leroy- D. ENFIN LIBRES !
Beaulieu, Léon Say, Frédéric Passy) partisans
intransigeants de la propriété et de la responsa-
bilité individuelle. Les premiers revendiquaient Les médecins n’entendent pas davantage se
un « devoir social ». Les seconds, soupçon- compromettre avec la fonction publique qu’avec
naient dans l’encouragement à l’habitat à bon la santé publique. Il est amplement rappelé que
marché un « socialisme camouflé », accusaient l’obligation d’inscription du médecin à la préfec-
l’irresponsabilité des locataires. Leroy-Beaulieu ture et au greffe n’induit aucune sujétion admi-
diagnostiquait un mal passager, Léon Say ne nistrative. Son exercice est libre et ne participe
voulait pas être dupe d’« une ruse du sentimen- d’aucun service public que ce soit. Rappel
talisme », Passy, pragmatique, disait préférer d’autant plus nécessaire que le Président du
des logements misérables à l’absence de Conseil, Émile Loubet, s’était demandé, lors de
logement. la discussion de l’article sur la liberté syndicale,
Depuis la loi du 13 avril 1850 , relative aux si leurs fonctions auprès des indigents, des
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logements insalubres, « loi de haute police enfants assistés, leur qualité d’inspecteur des
municipale » selon la formule de l’un de ses enfants du premier âge et de médecins des
rapporteurs, Anatole de Melun, la santé publique épidémies, leurs divers mandats auprès des col-
était devenue un élément de l’ordre public, un lectivités locales et de l’État, ne transformaient
objet de police sous l’autorité des maires. pas les médecins libéraux en fonctionnaires
La loi de 1850 est d’empreinte civiliste. Ses pro- exclus du champ d’application de la loi relative
moteurs avaient dû se conformer à la dogma- aux syndicats.
tique libérale dominante. Imprécise sur les L’un des critères de la profession libérale con-
causes d’insalubrité, n’admettant que des siste dans la liberté des honoraires. Dans un
causes internes dépendantes de la volonté de souci de promotion et de légitimation de leurs
l’homme, d’un champ d’application étroit quant honoraires, les médecins avaient réclamé une
aux lieux (locations privées) et quant aux per- prescription de cinq ans, et leur protection en
sonnes (locataires), limitée au bâti privé, dépen- forme de créances privilégiées ; la loi leur accor-
dante du principe de propriété, instituant des dera une prescription de deux ans, exorbitante
commissions municipales facultatives, à la dis- du droit commun, soulignant que l’acte médical
crétion des maires, ne prévoyant que de faibles n’étant pas un acte de commerce. Faute de
sanctions contraventionnelles, cette loi accusée base sérieuse, il apparut impossible de fixer un
68 Sur cette loi, voir A. DES CILLEULS, Commentaire de la loi du 13 avril 1850 sur les logements insalubres, Librairie
générale de jurisprudence, 1869.
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