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IV. LE TRIOMPHE DE PANACÉE : LA LOI DU 30 NOVEMBRE 1892
Chevandier est rapporteur, Brouardel com- monopole, expliquait Chevandier, en assurant
missaire du gouvernement. On retrouve les l’unité de grade, devait instaurer une égalité
constantes : reconnaissance du monopole des démocratique de tous les malades devant la
docteurs ; suppression de l’officiat ; reconnais- science. Le recrutement des officiers de santé
sance des syndicats médicaux ; répression de se tarit, découragés par la loi de trois ans de ser-
l’exercice illégal. vice militaire dont sont exemptés les docteurs, et
La ligne directrice du projet : le monopole des l’allongement de leurs études. Une enquête du
docteurs en médecine, et une farouche politique sénateur Cornil auprès des conseils généraux
de terre brûlée de tout acte médical ou appa- montre que 54 sont favorables à la disparition de
renté hors du médecin. L’acte médical et ses l’officiat, 21 favorables à sa conservation, 7 sans
moyens de réalisation, les instruments et les opinion. Il est spécieux d’associer officiat et
produits médicaux, deviennent des objets médicalisation des campagnes ; les officiers de
protégés. L’attribution du monopole entraîne santé, non moins que les docteurs, recherchent
l’exclusivité d’emploi de l’outillage médical et de les régions agréables et la clientèle solvable.
la production pharmaceutique, sanctionnés par L’avenir de la médicalisation des campagnes
la liberté de prescription. Qui fait œuvre de dépendra d’un dispositif d’assistance médicale.
médecin doit être muni du diplôme. Hors la loi,
rebouteurs, noueurs d’os et autres bailleuls, rha-
billeurs, orthopédistes, magnétiseurs, oculistes
et lithotimistes ! Disparaît toute cette petite chi-
rurgie que les officiers de santé partageaient
avec une multitude d’empiriques. Sont hors
champ médical les pédicures, manucures et
masseurs. Le statut des bandagistes-herniaires
est indécis.
A. L’ÉLIMINATION DE LA CONCURRENCE
Dans l’exposé des motifs de sa proposition de
loi de 1883, Chevandier plaidait la suppression
des officiers de santé sur la base de la distinction
sociale, habitus de classe que cristallise depuis
un siècle le terme dignité :
« Le pied d’égalité sur lequel ils sont avec les
docteurs […] est une injustice dont ces derniers
se plaignent à bon droit […] La question de la
dignité du corps médical français ne peut être
passée sous silence. Le médecin est appelé à
tenir dans la société un rang social élevé, à
soutenir, par sa distinction, par son degré d’ins-
truction, la considération due à la confrérie.
Pourquoi admettre que celle-ci sera faite de per-
sonnes ayant reçu une instruction différente ? » Source : gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
En 1892, Chevandier se sert d’arguments nou- La loi dispose spécifiquement et restrictivement
veaux : l’officiat est devenu techniquement pour les dentistes et les sages-femmes dont les
inadapté et, politiquement, peu défendu. La lé- services sont indispensables. Des serruriers,
gislation de 1803 qui avait présidé à l’instaura- des forgerons s’improvisaient dentistes ou
tion du « second rang » de la médecine était, en mécaniciens-dentistes. Les dentistes auront-ils
1892, « surannée, vicieuse, incomplète ». Le le droit de pratiquer l’anesthésie générale ou
64 Sur le contenu et les circonstances du vote de la loi, nous nous sommes référés à deux documents majeurs :
1°) R. ROLAND, Les médecins et la loi du 30 novembre 1892. Etude historique et juridique sur l’organisation de
la profession médicale et sur ses conditions d’exercice. Lettre-préface du Dr Chevandier. Paris, Aux bureaux des
lois nouvelles, Marchal et Billard, 1893.
2°) A. SALOMÉ, Le médecin et la loi. Étude juridique sur la condition du médecin en droit français. Thèse pour
le doctorat en droit, Paris, Arthur Rousseau, 1898.
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