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En consacrant l’exercice libéral et son contenu
               thérapeutique,  juridiquement  protégé,  la  loi  du
               30 novembre  1892 institue un modèle médical
               de référence, officiel, unique, dont la pratique est
               basée sur le soin biomédical de type pasteurien,
               les  examens  de  laboratoire  et  les  vaccins.
               Médecine  libérale  et  soin  biomédical  allaient
               dorénavant constituer la médecine officielle dont
               l’État  avait  besoin.  En  transformant  l’art  de
               guérir, la révolution pasteurienne permettait de
               résoudre  les  causes  du  malaise  technique  et
               social séculaire dont souffrait la profession : l’ab-
               sence d’arsenal thérapeutique, l’encombrement,
               la  soumission  du  médecin  à  de  multiples
               contraintes légales sous-payées.

               L’institution de la médecine libérale est née de la
               rencontre d’un moment scientifique et d’un mo-
               ment  politique. Au  moment  où  le  pasteurisme
               dotait la médecine d’une thérapeutique efficace,
               l’avènement des « classes moyennes » facilitait
               l’ascension  sociale  d’une  catégorie  profes-
               sionnelle  ambitieuse,  susceptible,  avide  de
               reconnaissance,  active  sur  le  terrain,  élue
               locale,  représentée  au  Parlement,  d’un  indivi-
               dualisme ombrageux, mais d’une incontestable
               loyauté  républicaine,  partageant  avec  l’élite   Source : gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
               politique  l’état  d’esprit  positiviste  qui  fondait  la
               pensée  et  l’action  de  l’État,  capable,  par  son
               ascendant,  d’enraciner  le  régime  et  de  contri-
                                                                                        71
               buer utilement à la stabilité républicaine.      Les  Instructions  de  1894   organisant  l’AMG
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               L’exercice libéral  et  le  monopole devaient être   1°) un système directif : les médecins chargés
               consolidés  par  deux  monuments  législatifs :  la   de soigner les malades pauvres sont désignés
               loi  du  15 juillet  1893  instituant  l’aide  médicale   par le Préfet. Les malades ne disposent pas du
               gratuite (AMG) et la loi du 15 janvier 1902 rela-  libre  choix.  Le  médecin  est  astreint  à  soigner
               tive à la protection de la santé publique.       tous les malades figurant sur une liste.
               La loi sur l’aide médicale gratuite entend renouer   2°) un système de libre choix : dans le système
               avec les principes révolutionnaires posés par la   dit « landais » ou « vosgien », les médecins doi-
               constitution de l’an I (Les secours publics sont   vent  se  conformer  aux  conditions  du  service,
               une  dette  sacrée)  et  la  loi  du  24  vendémiaire   mais les malades ont la faculté d’appeler le mé-
               an II dont l’article 18 dispose que « tout malade,   decin de leur choix.
               domicilié  de  droit  ou  non,  qui  sera  sans  res-
               sources, sera secouru ou à son domicile de fait,   Les  Instructions  détaillaient  d’autres  modalités
               ou à l’hospice le plus voisin ». La loi de 1893,   de  rémunération :  abonnement,  rémunération
               largement  inspirée  et  écrite  par  Henri  Monod,   proportionnelle au service rendu, rémunération
               Directeur du Conseil supérieur de l’Assistance   suivant le nombre des visites (paiement à l’acte),
               publique  (1888),  imprimait  à  l’assistance  un   d’après le nombre de personnes figurant sur la
               caractère d’obligation, élargissait la notion d’as-  liste d’indigents (capitation), d’après le chiffre de
               sistance  à  l’état  de  privation  de  ressources,   la  population.  Indemnités  de  déplacement  et
               incluait les femmes en couches assimilées à des   majorations  pour  visites  de  nuit  peuvent  être
               malades, les malades chroniques, les malades     prévues.
               étrangers  sous  réserve  d’une  convention  de   Le  syndicalisme  médical  militera  pour  une
               réciprocité avec leur pays d’origine.            uniformisation  des  pratiques  basées  sur  le
               Cette loi devait peser sur les modalités de l’exer-  paiement  à  l’acte,  augmentées  des  frais  de
               cice médical.                                    déplacement et majorées pour visite de nuit.


               71   Nous  nous  référons  aux  Instructions  du  18  mai  1894  pour  l’exécution  de  la  loi  sur l’assistance  médicale
               gratuite, in Petit manuel de l’assistance publique, des  hospices, des hôpitaux, bureaux de bienfaisance et bureaux d’assistance, par
               V. TURQUAN, Chef de bureau au Ministère du Commerce, de l’Industrie, et des Postes et Télégraphes, Paris, Paul
               Dufont, 1894.


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