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propre à l'agriculture qui, malgré des presta- production agraires en banalisant l'usage des
tions généralement plus faibles que celles engins motorisés, des pesticides et des varié-
servies aux salariés du régime général de tés de graines produites par les industries agri-
l'industrie et du commerce, a toujours éprouvé coles. Dès 1971, dans une étude parue dans le
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de graves difficultés pour assurer son finance- journal Économie rurale , M. Bonastre, chargé
ment en dépit de l'adjonction aux cotisations de recherches à l'INRA, constata les mutations
des intéressés, de subventions budgétaires ou sans précédent que connaissait le monde agri-
de ressources de caractère fiscal » . Structu- cole. Pour évoquer ce phénomène, il reprit à
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rellement déficitaire, ce régime de Sécurité son compte l'expression de Joseph le Bihan qui
sociale agricole eut également des difficultés à parlait de « pressions désorganisatrices de
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être en phase avec les prestations du régime l'activité agricole » . Pour lui, elles consistaient
général. Ainsi, « le problème s'est posé spécia- dans la subversion de l'organisation tradition-
lement pour les prestations familiales agricoles nelle de la paysannerie qui reposait sur un
dont la parité avec les prestations du régime mode de vie autarcique fondé sur « la faiblesse
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général, décidée à partir du 1 avril 1952, a des achats de ressources productives vu l'ab-
entraîné un supplément de dépenses. De nom- sence de ressources monétaires, la faiblesse
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breux auteurs ont soutenu que ces prestations des ventes » , lesquelles « contribuaient à
devaient être financées par la collectivité natio- cette autonomie ». A l'inverse, le progrès tech-
nale, soit directement, soit par des contributions nique a favorisé la spécialisation des cultures
des autres régimes de sécurité sociale, grâce à au profit du rendement, en faisant de l'échange
la surcompensation, en donnant à leur opinion économique et de la productivité la finalité de
un fondement démographique » . Parce qu'il l'activité de l'agriculteur. Les effets de ce
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occupait une place privilégiée dans la société passage à une économie d'échanges ont
des années 1940 et 1950, le monde agricole bouleversé profondément le monde rural, et les
sut défendre ses spécificités auprès des sociétés occidentales a fortiori. L'introduction
pouvoirs publics afin de conserver, notamment, de la mécanisation moderne a transformé la
le pouvoir de gouverner lui-même son régime géographie des campagnes. Mais au-delà de
de protection sociale. C'est d'ailleurs l'un des redessiner la carte des exploitations agricoles,
éléments culturels que Michel Lages a identifié les fortes évolutions du travail paysan ont con-
au sein de la pensée mutualiste, celui inhérent duit à bouleverser la répartition des besoins en
à la permanente « crainte de l'étatisation » . Or, main-d’œuvre pour les activités primaires.
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ce poids qu'occupait le secteur agricole au sein L'auteur constate, ainsi, une diminution de la
du monde économique et politique français population agricole, passée de 5 millions d’indi-
devait tendre à s'amenuiser. vidus en 1954 à 3.1 millions en 1967.
En effet, depuis les années 1940, c'est à une Or, cette diminution progressive des effectifs
vague d'évolutions sans précédent que la pay- gérés par les caisses de MSA, si elle n'était pas
sannerie française est confrontée. Passé le encore jugée comme problématique, devait à
choc de la Seconde Guerre mondiale, les outils terme, prendre les atours d'une crise structu-
et technologies au service du déploiement relle grave. L'enjeu du financement des ré-
d'une agriculture modernisée ont connu un dé- gimes de sécurité sociale, notamment du
veloppement accentué dans sa célérité par les régime agricole, était suffisamment important
Plans successifs adoptés par les institutions de pour que les pouvoirs publics instituent une
l’État, afin de développer la richesse écono- compensation démographique, avec la loi du
mique du monde agricole et mettre un terme 24 décembre 1974. Mais déjà, le régime de la
aux pénuries de denrées que connaissaient mutualité agricole dépendait des financements
alors les villes. Cette course vers la paysanne- publics du Budget Annexe des Prestations
rie industrialisée a alors redessiné dans son Sociales Agricoles (BAPSA), instauré par l'ar-
sillon les contours du monde rural français. En- ticle 58 de la loi n° 59-1454 du 26 décembre
couragé par les pouvoirs publics à partir de 1959, portant loi de finances pour 1960. Or,
1947, le renouveau profond des techniques l'équilibre financier de la Sécurité sociale devint
agricoles a redéfini en profondeur les modes de un impératif politique à partir de la fin des
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2 DOUBLET J., « Sécurité sociale et démographie », Population, 8 année, n°2, 1953, p. 264
3 Ibidem. L'idée défendue était que lorsque « les enfants des agriculteurs sont devenus des hommes, ils vont apporter leur travail et leurs
cotisations dans un secteur non agricole ; élevés et soignés à la campagne, ils vont plus tard créer des richesses à la ville. La société agricole,
plus chargée d'enfants que les autres groupes sociaux, fournit des hommes à la nation, c'est de là qu'elle tient sa créance envers le pays ».
4 Michel LAGES, Opus citatum, p. 218.
5 BONASTRE J.-B., « Progrès technique et évolution agricole », Économie rurale, N° 89, 1971, pp. 39-52, document généré
le 16/06/2016
6 Ibid p. 40
7 Ibidem.
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