Page 4 - 070619_Lettre d'info n 25 _au tirage
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La pensée solidariste affronte la pensée libérale   de la même loi générale de dépendance réci-
               sur son propre terrain, et, s’inscrivant en faux   proque, c’est-à-dire de solidarité, des éléments
               contre son individualisme de principe, récuse la   de la vie universelle. L’homme est au centre de
               vision hobbesienne de l’existence et la fatalité   cette loi de dépendance qui le relie à tous et à
               de la lutte de tous contre tous qui promeut la loi   tout dans l’espace et dans le temps. A tous les
               du plus fort et habilite la force comme fonde-   instants de sa durée, chacun des états de son
               ment du droit. Elle dégage de la nature une lé-  moi participe du mouvement universel qui com-
               galité qui conteste les postulats libéraux : contre   mande la marche du monde. L’équilibre entre
               un Frédéric BASTIAT qui ne voit dans la loi que   les parties et le tout est le critère d’une organi-
               «  l’organisation  d’un  droit  préexistant  de  légi-  sation supérieure. Telle est la base de l’« orga-
               time défense », Léon BOURGEOIS affirme une       nisme contractuel » dont le concept, mis au
               légitime défense contre les risques sociaux au   point par Alfred FOUILLÉE, effectue la transi-
               nom  d’une  dette  sociale.  L’idée  solidariste  se   tion de l’ordre de la nature à l’ordre juridique.
               déploie sur plusieurs niveaux : 1°) elle prend ap-
               pui  sur  une  loi  naturelle  réinterprétée  par  les   2.  La  nature  ne  survit  que  par  un
               sciences naturelles et la biologie ; 2°) déduit de   système organisé d’échanges qui est en
               ce droit naturel des concepts de droit civil se ré-  lui-même   un   modèle   de    justice
               férant au droit des obligations : la solidarité juri-  distributive.
               dique, le quasi-contrat, la dette sociale, le don ;
               3°) requiert une intelligibilité spécifique, au sens   L’organisme contractuel parfait sa justice distri-
               d’épistémè foucaldienne, dont la sociologie est   butive  immanente  par  une  justice  réparatrice
               l’instrument rationnel.                          qui tend  à rétablir  les conditions  normales de
                                                                l’organisme contractuel « lorsqu’elles ont été al-
                                                                térées par certaines classes ou certains indivi-
               1. Sous la plume de Léon BOURGEOIS,              dus, par des causes imputables à la société tout
               l’école  solidariste  élabore  un  nouveau       entière ». A l’échelle des sociétés humaines ces
               droit  naturel  conforme  à  la  civilisation    fonctions  régulatrices  procèdent  des  cons-
               industrielle.                                    ciences capables de vouloir et de leurs actes de
                                                                volition : « Je veux la volonté de tous, je veux
               Des lois de la nature les libéraux ont tiré le pa-  toutes les volontés, je veux pour tous comme
               radigme de la lutte pour la vie et la justification   pour  moi.  » Telle  est  la  fin  universelle  qui  ai-
               économique de la libre concurrence, principes    mante  l’évolution  des  consciences  et  vers  la-
               animateurs de la vie sociale. Il n’appartient pas   quelle  toutes  aspirent.  Cette  volonté  générale
               à l’Etat  de modifier ni de  corriger le cours de   en acte qui préexiste à sa formulation et consti-
               cette loi naturelle, mais d’empêcher que la mê-  tue le lien social, s’analyse juridiquement en un
               lée sociale ne devienne ni violente ni sanglante   quasi-contrat,  c’est-à-dire  une  obligation  for-
               comme celle des espèces. La volonté générale     mée sans convention. Le quasi-contrat est d’ap-
               ne saurait entraver le cours de la nature, mais   plication concrète. Source du droit présumable
               elle a le pouvoir de corriger les inégalités natu-  dans toute relation sociale, le quasi-contrat est
               relles nées de l’arbitraire  ou de l’injustice des   le principe de toutes les obligations de l’Etat en
               hommes. « Le devoir de l’Etat est avant tout une   matière d’assistance. Il est le contrat le plus gé-
               fonction  de  sécurité  envers  tout  le  monde.  »   néral qui fonde les contrats particuliers. Il  y a
               (Yves GUYOT) Le schéma de la lutte pour la vie   équivalence  entre  solidarité,  justice  sociale  et
               et de la concurrence universelle dont se récla-  fraternité. « Qui dit organisme dit fraternité, et
               ment les anglo-saxons (GALTON, SPENCER)          qui dit contractuel dit juste. » La solidarité dont
               apparaît, au plan scientifique, une extrapolation   le quasi-contrat est le creuset affirme le lien so-
               réductrice, un sophisme. Une observation plus    cial de tous avec tous, se propose à l’accepta-
               rigoureuse montre que les êtres individuels sont   tion de tous, et sollicite la reconnaissance de
               eux-mêmes travaillés par une loi unitaire interne   tous au double sens de connaissance intellec-
               qui organise tous leurs composants et les relie   tuelle et d’obligation de rendre. La société des
               à leur milieu.                                   hommes les institue, à tout instant et simultané-
               BOURGEOIS  invoque  les  physiologistes  qui     ment, créanciers et débiteurs.
               définissent la solidarité organique comme « la
               relation  nécessaire  entre  deux  ou  plusieurs   La  dette  sociale  est  l’autre  face  du  quasi-
               actes de l’économie » (p. 63). Tous les vivants   contrat.  Léon  BOURGEOIS  pose  le  principe
               sont  soumis  à  la  loi  interne  de  mutuelle   que  «  l’homme  naît  débiteur  de  l’association
               dépendance des éléments qui les composent et     humaine  ».  Par  le  seul  fait  de  sa  naissance
               forment leur individualité. La même loi les rend   l’homme  est  institué  associé  des  autres
               mutuellement dépendants. Les lois de l’espèce    hommes. Sa participation à la conscience com-
               ne sont que les aspects divers, au plan externe,   mune mesure le déploiement de son être social



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