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encore ces obligations naturelles dérivées des l’incertitude du lendemain. Le solidarisme pro-
solidarités primaires, qu’elle rend plus difficiles clame enfin un principe de justice présupposant
par les aléas du marché du travail, l’éloigne- la capacité contractuelle des parties, compris
ment, la précarité. comme un rapport d’équivalence et d’égale
dignité entre les services échangés. Ce con-
3. La charte de la mutualité : la loi du 1er tractualisme solidaire rencontre une limite : il
avril 1898 laisse hors du contrat social les inégalités phy-
siques et intellectuelles qui étant le fait de la na-
La prévoyance, vertu bourgeoise, apparaît ture ou du sort, sont de ce fait renvoyées à la
comme l’un des remèdes de la question sociale. sphère du malheur privé et du destin. « Contre
En assurant leur propre prévoyance, les ces inégalités, l’accord des volontés ne peut
classes inférieures ne seraient plus un poids rien. »
pour la collectivité ni une menace pour la tran-
quillité publique. Les réformateurs (Charles 4. La loi sur les retraites ouvrières et
GIDE, Emile CHEYSSON, Léon WALRAS) paysannes du 5 octobre 1910
voient dans le mouvement mutualiste la
création d’un lien social original, solidariste, ni Le rapporteur de la loi est un pilier du Musée
étatiste, ni libéral, conforme au nouvel âge social, Paul GUIEYSSE, polytechnicien et
industriel. La reconnaissance des sociétés de égyptologue amateur. La loi sur les retraites ou-
secours mutuels s’était longtemps heurtée à vrières et paysannes a mauvaise presse. Elle a
une difficulté politique : la tolérance des corps donné lieu à deux décennies de débats. Elle est
intermédiaires par un État qui réservait la violemment contestée par les syndicats révolu-
politique au seul Parlement où elle était tionnaires qui crient à l’escroquerie. Le Sénat
constitutionnellement domiciliée. Agiter la conservateur et libéral ne la concède que pour
question politique hors de son siège social faire échec à un projet plus ambitieux de la
relevait de l’atteinte à la sûreté de l’État. Les Chambre. Le sens de la collusion des conser-
militants mutualistes devaient se diviser sur une vateurs et des révolutionnaires a été perçu luci-
difficulté d’apparence technique : en quoi une dement par JAURÈS : il milite pour une loi dont
association mutualiste se distingue-t-elle d’une le principe obligatoire fait prévaloir l’assurance
compagnie d’assurance ? Le calcul actuariel sur l’assistance, et dont le champ d’application
est-il neutre ? Assurance ou mutualité, ces doit être toujours plus élargi. Le dispositif tech-
options culturelles et sociales dont les nique de la loi préfigure celui des assurances
contemporains avaient perçu l’antagonisme, la sociales. Le principe d’obligation catalyse les
République s’employa à les combiner, et, antagonismes sociaux ; il est perçu comme le
même dans le cadre de l’obligation d’assu- cheval de Troie sinon du communisme, du
rance, sut préserver le choix de l’organisme moins comme une intrusion proliférante de
assureur. l’État doublement lésionnaire, et de la propriété
privée et de la liberté d’entreprendre. Les pre-
Mais le mutualisme proposait un modèle de miers héritiers de la Révolution française et de
gouvernance démocratique, préférant à la déci- l’individualisme révolutionnaire, les entrepre-
sion actuarielle la décision politique née du neurs individuels, les travailleurs indépendants,
débat démocratique. s’érigent en adversaires irréductibles d’une loi
qui menace un modèle de société dont ils s’es-
Le solidarisme propose un dépassement de timent les légitimes représentants.
l’opposition factice individuel/collectif, nie la va-
leur absolue des droits individuels, en assigne Tel qu’il se dit dans la théorie et qu’il se montre
à la propriété une fonction sociale. Il met en dans les institutions, le solidarisme, à partir des
place les mécanismes essentiels des assu- fondements précontractuels de la vie en com-
rances sociales, et, ultérieurement de la Sécu- mun, s’efforce de refaire l’unité sociale par l’af-
rité sociale : filiation et l’unité nationale par la citoyenneté.
1°) La sectorisation de deux champs fondés sur
deux types de droits : l’assurance, fondée sur On peut dégager les critères du solidarisme :
la solidarité professionnelle qualifiée par le lien humaniser, socialiser, élever à la citoyenneté,
de subordination et l’assistance, fondée sur le c’est-à-dire unifier le corps social, par le seul fait
droit à l’existence et l’état de besoin. d’être homme. A ce titre, il postule un encastre-
2°) Il fait servir à des fins de protection sociale ment de la solidarité dans les structures de
le mécanisme assuranciel. l’Etat-Nation issu des principes révolutionnaires
3°) Il transforme les rapports sociaux : le et stabilisé dans les institutions républicaines.
salariat est reconnu comme une forme sociale On retrouverait le legs du solidarisme refondu
d’existence ; le travailleur est doté d’un statut au creuset de l’expérience historique, au prin-
qui vaut citoyenneté, et garanti contre cipe d’une vision du monde politique et social.
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