Page 6 - 070619_Lettre d'info n 25 _au tirage
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BOURGEOIS  définissait  les  rapports  sociaux   de l’Etat et des collectivités locales en matière
               comme une relation volontaire de copropriété.    d’assistance.  Les  lois  d’assistance  recondui-
               Alfred  FOUILLÉE  évoque,  au  bénéfice  des     sent les catégories classiques de discrimination
               prolétaires,  une  part  légale  et  obligatoire  de   des  bénéficiaires  en  distinguant  pauvres  va-
               propriété,  indispensable  support  qui  les  fait   lides et pauvres invalides dits chômeurs invo-
               accéder au rang d’individus libres, affranchis de   lontaires, en secourant les premiers, en mettant
               la misère et de la dépendance, capables de dé-   au travail les seconds. Il existe un consensus
               ployer des stratégies personnelles, d’être pré-  sur l’ordre social ainsi résumé par un contem-
               sents à eux-mêmes et à la Cité. L’Etat, au nom   porain qui donne une vue panoramique de l’Etat
               même du principe de justice, est donc fondé à    providence : « Ainsi les  valides  au  travail,  les
               exiger  des  travailleurs  « un  minimum  de  pré-  malades à l’hôpital, les enfants aux écoles, les
               voyance et de garanties pour l’avenir, car ces   infirmes à l’hospice ou soutenus par des pen-
               garanties de capital humain sont elles-mêmes     sions,  les  mendiants  endurcis  relégués  dans
               comme un minimum de propriété essentielle à      une  maison  de  détention. »  (L.  TEISSIER  du
               tout citoyen vraiment libre et égal aux autres ».   CROS).

               Si l’on devait caractériser l’objectif solidariste on   2. La loi sur les accidents du travail du
               pourrait dire qu’en soumettant l’autonomie de la   9 avril 1898
               volonté humanise aux lois non écrites de la vie
               commune, il agit en trois temps : il humanise, il   Des  juristes,  GÉNY,  DEMOGUE,  HAURIOU,
               socialise,  il  produit  des  citoyens.  Les  réalisa-  DUGUIT,  SALEILLES  constatent  l’inadéqua-
               tions législatives du solidarisme décrivent le pé-  tion,  voire  l’incohérence  du  code  civil,  et  les
               rimètre  du  pacte  social :  supériorité  du  droit   artifices  auxquels  les  différends  nés  des
               certain à l’assistance sur l’arbitraire de la bien-  dysfonctionnements  de  la  société  industrielle,
               faisance ;  contournement  du  code  civil  en   contraignent  la  jurisprudence.  DEMOGUE
               matière d’accident du travail ; exemplarité de la   recherche  dans  le  code  civil  l’élément  supra-
               solidarité mutualiste volontaire ; affirmation du   contractuel qui permettrait de juger le contrat et
               principe d’obligation dans l’intérêt général.    croit le trouver dans l’article 1134  qui pose le
                                                                                               1
                                                                principe de la bonne foi. Or l’accident du travail,
                                                                spécialement, en tant qu’il dépasse la bonne foi
               B. Le socle légal solidariste                    contractuelle,  est  une  pierre  d’achoppement
                                                                civiliste.

               1. L’assistance médicale gratuite : la loi       La loi sur les accidents du travail du 8 avril 1898,
               du 15 juillet 1893                               emblématique de l’assurance contre un risque
                                                                social majeur, est l’aboutissement d’un long dia-
               En novembre 1889 est créée au sein du minis-     logue entre patrons libéraux et syndicalistes ré-
               tère de l’Intérieur une Direction de l’Assistance   formistes dans le cadre du Musée social qu’on
               publique  dont  la  direction  est  confiée  à  Henri   a pu qualifier d’« antichambre à la Chambre ».
               MONOD véritable inspirateur de la loi du 15 juil-  L’Allemagne, l’Angleterre, l’Autriche-Hongrie, la
               let  1893  sur  l’assistance  médicale  gratuite  au   Belgique  s’étaient  dotées  d’une  législation  de
               bénéfice de tout Français privé de ressources,   réparation des accidents du travail. En France,
               des femmes en couches assimilées à des ma-       les choses traînaient en longueur depuis 1880
               lades, des étrangers malades sans ressources     lorsque Martin NADAUD avait proposé de ren-
               protégés  par  une  convention  de  réciprocité   verser  la  charge  de  la  preuve  en  matière
               entre la France et leur pays d’origine. L’assis-  d’accident.  La  question  était  évoquée,  au  gré
               tance  médicale  gratuite  est  à  la  charge  de  la   des  congrès  mutualistes,  en  termes  de  cohé-
               commune, du département ou de l’Etat suivant     sion  sociale :  comment  combiner  heureuse-
               le  domicile  de  secours  du  bénéficiaire.  Pour   ment l’intérêt de l’ouvrier et l’intérêt du patron.
               Henri  MONOD,  l’assistance  doit  être  légale,   Les accidents du travail constituaient un double
               instituée, administrée. L’Etat ignore la bienfai-  problème pour les patrons et le patronat : une
               sance et ne connaît que le doit. L’Etat républi-  perte de potentiel humain et une perte d’hono-
               cain  rompt  avec  les  pratiques  religieuses  ou   rabilité à cause des nombreux procès où ils sont
               philanthropiques de la charité, renoue avec les   assignés. Or le patronage et le code civil s’ac-
               principes révolutionnaires : les secours publics   cordaient mal avec le risque industriel. En 1898
               sont une dette sacrée. La loi fonde la légitimité   on dénombrait par an 8 000 blessés dans les


               1  Article 1134 du Code civil (1804) : Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
               Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
               Elles doivent être exécutées de bonne foi.


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