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rise la diffusion de l’air et de la lumière, mais En 1786 paraissait simultanément à Philadel-
aussi la vue de tous par tous, préfigurait le pa- phie et à Paris une brochure de 66 pages, sans
noptique de Bentham. L’hôpital est un artefact, nom d’auteur mais qu’on savait être de Dupont
« une machine à guérir » (Tenon). de Nemours (1739-1817) : Idées sur les secours
à donner aux pauvres malades dans une grande
Le baron de Breteuil, es qualités de ministre de ville .
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la maison du Roi et de Paris, fait examiner le L’auteur soumettait le système de l’hôpital géné-
projet par une commission de neuf membres de ral aux critiques de la réaction anti médicinale (la
l’Académie des Sciences, dont Lavoisier, Bailly gabegie hospitalière et le risque nosocomial), de
et Lassonne, présidée par Jacques Tenon. l’utilitarisme moral et social (la mise au travail
Après une vaste enquête européenne consi- des pauvres valides), de la Philanthropie (com-
gnée dans ses Mémoires sur les hôpitaux ment développer les capacités de la bien-
Tenon, convainc la commission de rejeter le pro- faisance des classes aisées), de l’économie
jet à raison de l’insalubrité du site, de son coût, politique (la réduction des coûts, l’initiative des
de sa taille excessive. Entrepreneurs substituée au rôle de l’État).
L’affaire de l’Hôtel-Dieu devait déclencher la Dupont de Nemours dénonce « un hôpital qui
compétition de deux paradigmes sociaux con- fait périr plus d’hommes par son infection et son
tradictoires indissociables de la construction désordre, que les maladies qu’on y voit rassem-
révolutionnaire : blées », une pratique dégradante de la charité et
1°) un libéralisme individualiste anti-médical ; de l’aumône, car « il n’est pas dans la nature de
2°) une conception de l’hôpital comme réponse demander à autrui ce que l’on peut faire soi-
à la maladie, non à l’indigence. même sans un trop grand effort ».
Il plaide pour la « domiciliation » du malade, son
maintien à domicile, parmi les siens, entouré de
leurs soins et de leur affection qui hâteront la
guérison. La domiciliation sauvegarde et stimule
les solidarités naturelles brisées par l’admission
dans « une grande maison publique qu’on ne
saurait s’empêcher de regarder comme un
temple de la mort ». À défaut de domicile, les
pauvres malades seront hébergés dans de
petites unités de proximité, crées à l’initiative
des paroisses ou des Entrepreneurs. La domi-
ciliation ne peut que perfectionner l’art du
médecin instruit et intelligent au contact de la
vraie nature de la maladie, alors que toute
l’habileté des médecins des Hôpitaux consiste à
se défendre « contre des maladies artificielles et
compliquées ».
Quant aux secours publics, Dupont de Nemours
propose par conception renouvelée du don et de
l’aumône-de valoriser leur emploi et de les faire
utilement servir à l’intérêt des Entrepreneurs
dont ils financeraient les établissements d’hé-
bergement dans un régime de concurrence, de
diminution des coûts et d’amélioration de la qua-
lité, une moindre dépense permettant d’assister
le plus grand nombre. En faveur des pauvres
valides sans travail seraient créés des « ateliers
de charité » dont les profits contribueraient au
financement des secours dont ils bénéficient.
En 1787 un médecin en chef de la Salpétrière,
Chambon de Montaux (1748-1826), membre
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Idées sur les secours à donner aux pauvres malades dans une grande
ville... (« Source gallica.bnf.fr /BnF ») de l’Académie de médecine, membre de la
SRM, fait paraître ses Moyens de rendre les
44 Pierre-Samuel DUPONT DE NEMOURS, Idées sur les secours à donner aux pauvres malades dans une grande
ville. Philadelphie et Moutard (Paris), 1786, 66 pages.
45 Nicolas CHAMBON DE MONTAUX, Moyens de rendre les hôpitaux plus utiles à la nation, Paris, Rue et Hôtel
Serpentes, 1787.
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