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Un décret du 18 juin 1793 détaillait les secours loi du 18 août 1792 relative à la suppression des
dus annuellement aux enfants, aux vieillards et congrégations enseignantes et hospitalières.
aux indigents. Texte impressionnant par sa mo- Institutions stériles ? La faculté de médecine de
dernité. Outre les cultivateurs et les artisans, ca- Paris n’avait plus reçu de docteur depuis 1788.
tégories sociales distinctes, le décret prévoyait Désormais l’art médical relevait de la libre entre-
des bénéficiaires transversaux : les pères et prise et de la libre installation.
mères chargés de famille, les veuves dépendant
des revenus de leur mari, les orphelins. La ma- Dans son Nouveau plan de constitution pour la
ternité était reconnue dans sa spécificité par le médecine en France qu’il présentait en 1790 à
versement de primes d’accouchement et d’allai- l’Assemblée Nationale au nom de la SMR, Félix
tement. Était prévu un statut de nourrice agréée. Vicq d’Azyr (1748-1794) déplorait les carences
Les orphelins et enfants abandonnés étaient re- de la médecine de santé publique : « Si l’exer-
cueillis dans des institutions spécialisées. Des cice de la médecine offre des difficultés, c’est,
pensions de vieillesse étaient créées. La notion surtout dans les besoins, les calamités pu-
d’allocations familiales et les pensions de bliques elle veille à la conservation d’un grand
veuves complétaient ce dispositif de protection nombre d’hommes réunis. Mais est-il une école
sociale. Les secours publics étaient retracés où l’on enseigne l’art de venir au secours d’un
dans les comptes de la Nation, au moyen d’un Hôpital, d’une Ville, d’une province attaquée
Livre de la bienfaisance nationale par profession d’épidémie. Où forme-t-on des médecins dans
ou état. les campagnes ? »
Un décret du 15 octobre 1793, traitait des Il dénonçait, avec des accents de pamphlétaire,
agences de secours, durcissait la répression de une pratique frauduleuse : « des Médecins sans
la mendicité et du vagabondage par la réclusion expérience, des Chirurgiens sans savoir, des
dans des « maisons de répression » et, en cas Empyriques sans probité ». Il réclamait l’unité de
de récidive, par la « transportation aux colo- la profession, la fusion dans un même corps des
nies » (Madagascar). Enfin était défini un con- médecins, des chirurgiens et des apothicaires,
cept juridique toujours actuel : le domicile de une formation intégrant aussi bien l’art médical
secours. que l’art vétérinaire. Vicq d’Azyr conçoit deux
niveaux dans l’enseignement médical : un
Il faudra attendre la IIIe République pour que « enseignement académique » de haut niveau,
cette conception de l’assistance publique et de dispensé dans cinq collèges situés à Paris,
l’organisation hospitalière soient mises en Montpellier, Bordeaux, Nantes et Strasbourg ;
œuvre. La constitution thermidorienne suspend un enseignement élémentaire dispensé à
la constitution montagnarde et son projet social. l’échelon départemental dans les hôpitaux, basé
Nous avons vu comment Cabanis, suivant les sur la pratique, la « méthode », « l’habitude
conceptions de Dupont de Nemours, privilégiait d’opérer », visant des « résultats utiles » et des-
les soins à domicile, hostile à tout ce qui pouvait tiné aux campagnes.
rassembler les hommes, les corrompre et atten-
ter à l’ordre social péniblement reconquis après Le mandat de la Constituante étant expiré au 30
les excès révolutionnaires. L’individualisme et septembre 1791, le projet de Vicq d’Azyr ne fut
l’initiative privée l’emportent sur l’organisation pas examiné mais devait servir de matrice au
collective jacobine. La constitution du 24 juin projet de Fourcroy organisateur de l’instruction
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1793 fondait l’ordre social sur la dette de tous publique et des études médicales . Dans un
envers tous. La constitution du 22 août 1795 rapport du 27 novembre 1794, pour faire face à
fonde l’ordre social sur le droit de propriété une pénurie de médecins des armées, Fourcroy
opposable à tous. présentait à la Convention un projet d’École
centrale de santé, calqué sur le modèle de
F. VICQ D’AZYR : RECONSTRUCTION l’École centrale des travaux publics répondant à
« la nécessité de former promptement des cours
DE LA MÉDECINE d’instruction de l’art de guérir pour former des
hommes qui manquent à nos armées ». L’ensei-
L’institution médicale d’Ancien-Régime, - sa hié- gnement serait fondé sur quatre principes :
rarchie, son élitisme, ses préséances, ressen- 1) la fusion de la médecine et de la chirurgie ;
ties comme autant de brimades par les méde- 2) l’importance de l’enseignement pratique sui-
cins provinciaux -, était implicitement abolie par vant l’adage « peu lire, beaucoup voir et beau-
la loi Le Chapelier. Elle l’était expressément par coup faire » ;
la loi du 8 août 1793 qui portait suppression des 3) le recrutement par concours ;
Académies et des sociétés savantes dont la 4) la délivrance d’un titre universellement va-
SMR et le Collège Royal de Chirurgie, et par la lable sur le territoire français.
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48 Fourcroy fut le promoteur de la loi du11 floréal an X (1 mai 1802), plan général d’instruction publique qui servait de
cadre à la loi de ventôse.
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