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hôpitaux plus utiles à la Nation, réplique à la bro- c’est un besoin de l’État. » C’est au nom de ces
chure de Dupont de Nemours. L’auteur entend principes pré-jacobins que Coquéau réfute
« réfuter les maximes de quelques Politiques Dupont. Il récuse la classification des pauvres
modernes sur l’établissement des Maisons de en pauvres domiciliés, non domiciliés, ayant des
charité ». Il ne sépare pas ce que nous appelle- bienfaiteurs, ainsi que l’idée de maisons de
rions aujourd’hui le domaine proprement médi- santé comme objet d’entreprise et de profit. Sa
cal et le domaine médico-social. Il conteste la défense de l’hôpital comme institution totale, sa
domiciliation et la fécondité clinique alléguée par préférence pour un « grand et unique hôpital »
Dupont contre la médecine hospitalière. plutôt que des hospices divisés induit une
A l’appui de son plaidoyer en faveur des institu- réflexion sur l’organisation de la médecine hos-
tions charitables, Chambon de Montaux pro- pitalière de type militaire : « Le régime militaire
pose une réforme des études médicales inté- produit toutes les vertus de cet état. Appliqué
grant une formation continue, une rénovation de aux hôpitaux, il produira toutes les vertus des
l’organisation des services, et soutient les avan- hôpitaux. » La hiérarchie hospitalière sera ba-
tages de la clinique hospitalière. L’assistance sée sur l’unité de commandement et l’unicité du
publique offre un terrain favorable à l’enseigne- chef. « Un chef commande, un chef inspire, un
ment. A la Salpétrière les apprentis médecins di- chef peut être rendu responsable. » L’adminis-
versifient leur expérience au contact des enfants tration de l’hôpital repose sur deux fonctions :
trouvés, des filles de débauche et des vieillards l’exécution, la surveillance, « l’une faite pour
indigents qualifiés de « bons pauvres » ; ils peu- obéir, l’autre pour commander. » - « L’une est
vent approfondir leurs connaissances dans deux juge, l’autre partie. »
domaines nosologiques distincts : les maladies
aiguës et les maladies chroniques. Quant aux Une série de décrets de la Convention donnè-
secours de l’État, ils sont fondés et nécessaires rent force de loi aux vœux de Coquéau.
non seulement par vertu d’humanité mais en Le Préambule du décret du 19 mars 1793 con-
raison d’une loi sociale nécessaire : l’auteur for- cernant la nouvelle organisation des secours
mule une loi sociologique : « Il est d’évidence publics déclarait le droit au secours comme un
que l’indigent ne peut sortir de lui-même de l’état droit naturel fondant l’obligation de l’État. La
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de pauvreté . » Convention Nationale « mettait au nombre de
ses principaux devoirs celui d’asseoir sur les
E. DES SECOURS PLUTÔT QUE DES bases éternelles de la justice et de la morale,
une nouvelle organisation des secours publics »
SOINS et proclamait deux principes fondamentaux :
-1) « Tout homme a droit à sa subsistance par le
Cette idée sera amplement développée par C- travail s’il est valide, par des secours publics s’il
Ph Coquéau dans un nouveau mémoire paru la est hors d’état de travailler. »
même année, intitulé Essais sur l’établissement -2) « Le soin de pourvoir à la subsistance du
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des Hôpitaux dans les grandes villes . L’auteur pauvre est une dette nationale. »
se fait le héraut de la « voix publique » qui le
constitue « Avocat des Pauvres » : « C’est ce Serait affecté aux secours publics le produit des
droit que je réclame. » Les Essais expriment la ventes des biens des hôpitaux, fondations et
théorie politique des secours publics qui fonde autres dotations en faveur des pauvres. L’admi-
l’article 21 de la Constitution de l’An I (24 juin nistration du travail imposé aux pauvres valides
1793). La question des hôpitaux est une ques- et des secours aux pauvres invalides étaient
tion éminemment politique : le Peuple a des confiés aux départements et à des agences
droits sur les hôpitaux dont il est l’usufrui- cantonales de distribution, l’État s’engageant à
tier. « Le Gouvernement n’existe donc que pour assurer une péréquation des moyens pour
les pauvres, les faibles et les opprimés ; sans corriger l’inégalité des ressources départemen-
eux, on n’aurait jamais eu besoin de l’établir. » tales. Les bénéficiaires étaient classés en
- « Les idées de société, de gouvernement, de pauvres valides, invalides, domiciliés ou non
secours publics sont dans la nature. » domiciliés. La loi qui organise les secours,
soumet à son contrôle les personnes secourues.
Les Essais contiennent la définition et le pro- L’article 13 posait le principe d’une Caisse
gramme de l’assistance publique. Le droit positif nationale de Prévoyance. L’article 14 organisait
doit se substituer à la charité subjective, faculta- la répression de la mendicité et du vagabon-
tive et arbitraire. « Je mets de côté l’humanité et dage, contrepartie du droit aux secours. Des
la bienfaisance. Ce ne sont que des vertus, et ce décrets ultérieurs devaient étendre et compléter
n’est pas même de vertu qu’il s’agit ici ; c’est le champ et les modalités d’application de ce
d’un devoir du Gouvernement, c’est même plus, premier texte.
46 Op. cit., p 44
47 Ch. Ph. COQUÉAU, Essai sur l’établissement des hôpitaux dans les grandes villes, Paris, PH-D Pierres, 1787.
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