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Les prérequis attendus des candidats seraient, Thouret proposait pour les enseignants et les
outre leur insigne vertu républicaine, « les con- savants un statut digne d’inspirer nos réformes
naissances préliminaires à l’art de guérir » : phy- actuelles de l’enseignement supérieur et de la
sique, histoire naturelle, chimie, anatomie. Le recherche : « Il faut que leurs salaires suffisent
corps enseignant se composerait des meilleurs à leurs besoins […] Des hommes qui ont consa-
praticiens qui se répartiraient les disciplines fon- cré vingt ans de leur vie à l’étude pour acquérir
damentales : Vicq d’Azyr, l’anatomie du cerveau, des connaissances profondes et devenir ca-
Chaussier, la nomenclature anatomique, pables de les transmettre à d’autres doivent être
Desault et Chopart, la chirurgie, Virey la phy- traités par la patrie qui les emploie de manière à
sique élémentaire... La renommée médicale de ne pas être tourmentés par l’inquiétude domes-
la France à laquelle aspirait Thouret, serait as- tique et à puiser dans l’exercice de leurs talents
surée par les grands noms de Pinel, Corvisart, utiles les ressources suffisantes pour soutenir
Cabanis, Baudelocque, Leroux, Leclerc, leur existence et celle de leur famille. »
Percy…
Un décret de décembre 1794 instituait trois
G. LE RAPPORT THOURET ET LA LOI écoles de santé, à Paris, Montpellier et Stras-
bourg accueillant respectivement 300, 150 et
DU 19 VENTÔSE AN XI 100 élèves. Malgré son ambition, et le double-
ment des Écoles de santé (32), cette loi
Michel-Augustin Thouret (1748-1810) proposait d’urgence s’avérait un palliatif, une mesure
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dans son Rapport au Tribunat du 16 ventôse transitoire en attendant la loi véritablement fon-
en XI (7 mars 1803) de combler le vide médical datrice du 19 ventôse an XI (10 mars 1803)
qui succédait à la fermeture des établissements élaboré par Fourcroy et Thouret, dont Thouret
d’enseignement et des sociétés savantes en fut le rapporteur devant le Tribunat lors de sa
exploitant les « manuscrits précieux » qui dor- séance du 16 ventôse an XI.
maient dans les ci-devant Académie des La construction d’un cadre médical répond à des
Sciences, Faculté de Médecine, École de Chi- besoins immédiats : on manque de médecins
rurgie. (« insuffisance des réceptions »), il faut doter les
hôpitaux militaires et les camps de médecins
compétents, médicaliser les campagnes, en-
rayer le charlatanisme. Ces préoccupations sont
manifestes dans le rapport de Thouret qui en
appelle à la « sensibilité » du Tribunat pour
déplorer la mort de plus de six cents médecins
militaires victimes des contagions hospitalières
ou péris sur les champs de bataille ; qui dénonce
l’anti médecine virulente des campagnes sou-
mises au charlatanisme et à la nuisance sys-
témique d’une « horde d’empiriques [qui] assiè-
gent les places dans les cités, se répandent
dans les bourgs, dans les campagnes, et portent
partout la désolation et l’effroi. » Le charlata-
nisme, le colportage, la mendicité, le vagabon-
dage constituent des contre-sociétés, des dis-
sidences, des guerres intérieures que la
Constitution de l’an VIII (13 décembre 1799)
rend intolérables au nom de la « stabilité » cons-
titutive du citoyen et de la « sûreté intérieure »
de l’État. L’institutionnalisation de la médecine
participe d’une entreprise de reconstruction
sociale, de reprise de contrôle du territoire, du
projet « biopolitique » initié par la Monarchie et
suspendu par l’anarchie révolutionnaire.
La Proclamation des Consuls présentant la
constitution aux Français était sans ambiguïté :
« La Constitution est fondée sur les vrais prin-
cipes du gouvernement représentatif […] Les
Le Rapport Thouret (« Source gallica.bnf.fr /BnF ») pouvoirs qu’elle institue seront forts et stables ».
49 TRIBUNAT, Rapport fait au nom de la section de l’intérieur sur le projet de loi relatif à l’exercice de la
médecine par Thouret, séance du 16 ventôse, an XI. Paris, Imprimerie nationale, 16 pages.
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