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sociale : sens du bien commun, universalité de de bien et excellent esprit » : c’est en ces termes
la nature humaine, et un sentiment naturel que Cabanis le recommande à Maine de Biran.
d’obligation réciproque de bienveillance des uns
envers les autres, base de la philanthropie, B. LES RÈGLES SOCIALES DE
mélange de christianisme, d’humanisme des
Lumières et de fraternité maçonnique. L’ÉCONOMIE POLITIQUE
La Société est composée d’une cinquantaine de
personnalités savantes, médecins, aliénistes, La Présentation par Jean Itard (1774-1838) du
juristes (Portalis), voyageurs, naturalistes Mémoire sur les premiers développements de
(Cuvier), réunis autour de l’abbé Sicard et de Victor de l’Aveyron (1801) contient les lignes
Jean-Baptiste Jauffret, pédagogues novateurs directrices de l’action du philanthrope.
dans l’éducation des sourds-muets.
L’homme devient son propre objet d’études et
entre dans les classifications des naturalistes.
Sa place dans la chaîne du vivant est au centre
de la curiosité et de l’investigation scientifiques.
Rédigé par Joseph Virey, l’article Homme du
Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle est in-
tercalé entre Hirondelle et Homonoie (petit ar-
brisseau qui pousse sur les bords des rivières
de Cochinchine). La pensée est considérée
comme une sécrétion du cerveau. L’auteur fait
état de ses expériences de craniologie compa-
rée pour conclure à la supériorité de l’homme
blanc. Parallèlement, l’Agenais Bory de Saint-
Vincent rédige l’article Homme dans le Diction-
naire classique d’histoire naturelle en 17 vo-
lumes (1822-1831) d’où il tirera une étude intitu-
lée : L’Homme, Essai zoologique sur le genre
humain (1827), ironiquement dédiée à Cuvier,
rigoureux défenseur de la division de l’histoire
naturelle en règnes successifs et hiérarchisés
dont l’homme est le couronnement providentiel.
Parmi les Observateurs de l’Homme, une place
à part doit être réservée au « spiritualiste »
Joseph-Marie Degérando (1772-1842) qui
cumule l’expérience de la durée historique de
Robespierre à Louis-Philippe. Degérando ap-
paraît comme un homme-carrefour, un homme-
institution, un homme-passerelle ; il est essen-
tiellement homme de réseau dont on découvre
la stature longtemps aplatie par la grisaille admi- Le Mémoire de Jean Itard (« Source gallica.bnf.fr /BnF »)
nistrative de son style et le conformisme de ses
multiples hautes fonctions. Proche collaborateur Victor, l’enfant sauvage, représente la « pure na-
de l’Empereur, Degérando est également ture à instituer » et l’occasion unique d’animer
homme de cabinet et homme de terrain. Il est, un équivalent vivant de la statue de Condillac.
avec les frères Cuvier, Ampère, Royer-Collard, Le cas de Victor présente de multiples enjeux
Guizot, membre de la « société philosophique » doctrinaux, anthropologiques et sociaux : com-
qui se réunit autour de Maine de Biran et reven- paraison de l’état de nature et de l’état civilisé,
diquera toujours la qualité de philosophe. Catho- inné et acquis, origine du langage, analogie
lique, mêlé à la société protestante, Idéologue, avec les sauvages et les aliénés, question de
proche de la franc-maçonnerie, influencé par les l’idiotisme et de sa prise en charge, efficacité
Lumières écossaises, Conseiller d’État, Philan- des méthodes d’apprentissage, socialisation.
thrope, polygraphe, suractif, on a du mal à cer-
ner le « vrai » Degérando. Sa carrière et son Les Observateurs de l’Homme se divisent :
action démentent les jugements péjoratifs de - Philippe Pinel, fort de son expérience aliéniste,
ses contemporains : « esprit médiocre » (Maine concluait à l’idiotisme de Victor, cause de son
de Biran - qui corrigera son jugement), « esprit abandon, et pronostiquait un échec des mé-
essentiellement mou » (Sainte-Beuve), « lâche thodes éducatives. Le sort de Victor était
de cœur et d’esprit » (Stendhal). Mais « homme inéducable : sa place était à l’asile.
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