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               humaine . » Il faut accompagner la loi naturelle,   4) les excreta ou sécrétions ou matières rejetées
               prévenir ses crises, atténuer ses effets, s’abste-  par le corps ;
               nir d’en modifier le cours ou de forcer la main   5) les gesta ou actions volontaires ;
               invisible  qui  préside  à  son  déroulement,  sous   6) les percepta ou affects et tout ce qui touche
               peine  d’empirer  le  désordre  qu’on  voulait  cor-  la sensibilité.
               riger. En épigraphe de son Économie politique
               chrétienne  (1837),  le  vicomte  Alban  de      Tels  sont  les  « modificateurs  de  santé »  qu’un
               Bargemont  choisit  une  citation  de  Burke : « Il   disciple de Hallé, Joseph Briand qui répète son
               faut  recommander  la  patience,  la  frugalité,  le   enseignement,  développe  dans  un  vaste  ou-
               travail, la sobriété et la religion. Le reste n’est   vrage  de  vulgarisation  :  Manuel  complet  d’hy-
               que fraude et mensonge. »                        giène,  ouvrage  pratique,  accessible,  qui
                                                                s’adresse aux familles et prétend tracer, au sein
               La  Philanthropie  ascétique,  d’esprit  anglo-  d’un famille idéale bourgeoise type, la conduite
               saxon,  agit  sur  le  corps  social  comme  le   à tenir dans toutes les circonstances de la vie.
               médecin hippocratique sur le corps malade et se
               trouve exercer un « traitement moral » médico-
               social qui vise à recouvrer l’équilibre social en
               prévenant  les  pulsions  anti-sociales  par  les
               pratiques à domicile et l’isolement qui arrête les
               contagions,  des  secours  négociés  et  le  ferme
               propos  d’une  conduite  raisonnable.  Pour
               Degérando,  la  bienfaisance  est  un  contrôle
               social commençant par une maîtrise visuelle qui
               objective la situation du pauvre : « Entrons sous
               le toit du pauvre, dans l’intérieur de la famille,
               examinons  l’état  du  mobilier,  l’ordre  […]  Un
               observateur exercé lit sur les fronts. »
               Le Philanthrope évalue l’habitat du pauvre et le
               pauvre  lui-même  comme  l’Hygiéniste  apprécie
               l’insalubrité  et  les  risques  de  contagion.  Leur
               champ d’observation se recoupe, leurs travaux
               sont complémentaires et  poursuivent le  même
               but : la conservation sociale et l’adaptation des
               individus indigents ou malades par la cessation
               des causes du mal : la paresse ou le vice traités
               par  la  Philanthropie  et  son  hygiène  mentale,
               l’infection et la contagion objets de l’Hygiéniste.

               Les hygiénistes  de la première génération pro-
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               posent une grille de lecture de la pathogénèse.
               Ils continuent la théorie hippocratique de l’envi-
               ronnement  naturel  et  la  théorie  humorale  de
               Galien  et  perpétuent  leur  lecture  médicale  du
               monde : les choses naturelles qui ne dépendent
               pas de nous (anatomie, physiologie), les choses
               non  naturelles  qui  dépendent  de  nous  (diété-
               tique, hygiène), les choses contre nature qui dé-  Le Manuel complet d’hygiène de Joseph Briand « rédigé selon la
               rogent aux lois de la nature et ne dépendent pas   doctrine du Prof. Hallé » (« Source gallica.bnf.fr /BnF »)
               de nos seules volitions (les maladies, la matière   Le Traité d’Hygiène, réédité par Bricheteau sous
               médicale, la thérapeutique).                     la  signature  de  Hallé  et  Tourtelle,  atteste  l’in-
                                                                fluence persistante de Hallé en 1855, et la révé-
               Jean-Noël Hallé (1754-1822), l’un des pères de   rence  dont  il  est  encore  l’objet.  Les  modifica-
               l’hygiène,  reprend  la  classification  de  Herman   teurs de santé y font l’objet d’un développement
               Boerhaave (1668-1738) et distingue :             savant,  pluridisciplinaire  et  encyclopédique.
               1) les circumfusa ou choses environnantes ;      « L’hygiène est cette partie de la médecine dont
               2) les applicata ou choses appliquées au corps ;   la fin est la conservation de la santé ». Elle s’op-
               3) les ingesta ou choses absorbées par voie ali-  pose à l’iatrique ou thérapeutique qui s’occupe
               mentaire ;                                       de l’homme malade. L’hygiène est totalisante et

               61  DEGÉRANDO, De la bienfaisance publique, op. cit., 1ère partie, Livre II, ch. 1, p152.
               62   Cf.  Gérard  JORLAND,  Une  société  à  soigner,  Hygiène  et  salubrité  publiques  en  France  au  XIXᵉ  siècle,
               Gallimard, 2010 (Collection Bibliothèque des Histoires).


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