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II. LES PROMESSES DE LA MÉDECINE EXPÉRIMENTALE
L’avenir de la médecine se jouait dans le silence d’un organisme défini par des échanges et un
des laboratoires, à l’échelon de l’infiniment petit. milieu. À partir de la physiologie, son fondement,
Deux monstres sacrés, gloires nationales, héros la médecine saura élaborer de nouveaux modi-
de la République devaient modifier son cours : ficateurs de vie, les maladies n’étant que des
Claude Bernard (1813-1878) et Louis Pasteur « mécanismes qu’il s’agit d’expliquer, de ré-
(1822-1895). D’idéologique la médecine deve- gler ». Elle fournira aux praticiens une théra-
nait expérimentale. peutique plus sûre et mieux fondée que les ins-
truments puissants et mortels qu’ils sont réduits
A. CLAUDE BERNARD : L’ASCÈSE DU à utiliser parfois au hasard. Claude Bernard est
LABORATOIRE conscient d’une dualité qu’il veut surmonter : le
praticien, empêtré dans les contingences de la
clinique et les croyances de son art, et le savant
La parution de l’Introduction à la médecine de laboratoire œuvrant dans un esprit de libre
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expérimentale (1865) ruinait les œuvres anté- recherche scientifique. L’hôpital n’est que le ves-
rieures, bloquées au stade de l’observation et tibule de la science dont le laboratoire est le
d’un empirisme dénué de méthode, inscrites sanctuaire. En faisant du médecin un physiolo-
dans l’histoire naturelle. Pour faire entrer la giste, Claude Bernard l’éloigne de la clinique et
médecine dans l’âge scientifique (i.e. expéri- du malade, sourd aux cris, aveugle au sang qui
mental) Claude Bernard la dégageait de la coule, n’apercevant que des « organismes qui
magie du naturalisme hippocratique : les réalités lui cachent des problèmes qu’il veut découvrir ».
étudiées « ne se trouvent ni dans le sentiment,
ni dans la raison qui sont seulement des guides B. LE MANIFESTE PASTEURIEN (30 AVRIL
indispensables, mais dans la réalité objective 1878)
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des choses où elles se trouvent cachées avec
leurs formes phénoménales ». Le chercheur est
double : à sa fonction passive d’observateur, il Un non-médecin, Louis Pasteur, hâtait cette
ajoute une fonction active d’expérimentateur, révolution scientifique. En 1862, il entamait par
critère de science. L’expérimentateur, actif, en une série de conférences sa réfutation de la
fonction d’une « idée préconçue », provoque théorie de la génération spontanée et démontrait
l’expérience et se dédouble en observateur l’existence de micro-organismes qui devait con-
neutre, passif, qui enregistre le résultat. duire aux règles d’asepsie et transformer la pra-
L’âge de l’observation est celui d’une « méde- tique chirurgicale. À l’occasion de ses leçons sur
cine expectante » qu’il s’agit de transformer en la dissymétrie moléculaire des organismes natu-
médecine agissante. La discipline métho- rels, Pasteur exposa son cadre théorique de
dologique et l’ascèse expérimentale, loin de travail : les faits naturels ne comportent pas leur
diminuer l’essor des sciences médicales condi- principe de raison suffisante et leur observation
tionnent leur volonté de puissance. n’a pas de valeur scientifique ; seuls relèvent de
Claude Bernard ne se veut, modestement, qu’un la science les faits dont l’observation est com-
précurseur, mais prophétise une science de mandée par l’hypothèse de travail qui les cons-
l’avenir, une science « conquérante », une truit. Cette épistémologie disqualifie les consta-
« révolution scientifique » : « À l’aide de ces tations empiriques au chevet des malades et
sciences expérimentales actives, l’homme consigne les progrès de la science dans l’es-
devient un inventeur de phénomènes, un pace du laboratoire. Les expérimentations de
véritable contremaître de la nature ; et l’on ne Pasteur confirment sa théorie des germes et dé-
saurait, sous ce rapport, assigner de limites à la terminent un changement de paradigme qui
puissance qu’il peut acquérir sur la nature par transformera l’hygiénisme et la médecine ambu-
les progrès futurs des sciences expérimen- latoire : l’asepsie. Ce changement est histori-
tales ». quement daté ; il s’exprime par la voix de
La méthode expérimentale impose une révision Pasteur en personne dans sa lecture à l’Acadé-
de la nosographie et un nouveau statut de la ma- mie de médecine le 30 avril 1878, d’un mémoire
ladie dont est récusé le caractère abstrait d’en- de moins de 30 pages : La théorie des germes
tité autonome se déployant selon les rythmes de et ses applications à la médecine et à la chirur-
la nature. La maladie n’est pas un être en soi ; gie. « Si j’avais l’honneur d’être chirurgien… »,
elle n’est qu’une variation quantitative au sein Pasteur y traite de la septicémie et de sa
50 Nous citons d’après Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Garnier-Flammarion, 1966.
51 La théorie des germes et ses applications à la médecine et à la chirurgie. Lecture faite à l’Académie de médecine
par M. Pasteur en son nom et au nom de MM. Joubert et Chamberland le 30 avril 1878, Paris, G Masson, 1878.
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