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autres classes fut-elle immense. » Les jour- joueurs d’orgue, des chiffonniers, des rémou-
nées de juin 1848, consécutives à la fermeture leurs, des rétameurs, des mendiants, bref toute
des ateliers nationaux et à une mise en chômage cette masse confuse, décomposée, flottante que
généralisée, furent « une bataille de classe à les Français appellent la bohème. »
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l’état pur » (Maurice Agulhon ). Faut-il entendre
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par « classe » : 1) une opposition prolétaires- 1848 est une épreuve de vérité pour les écrivains
patronat ? 2) un affrontement riches-pauvres ? et les artistes, les « mages » romantiques, pro-
3) un conflit entre partisans de la légalité républi- moteurs de l’Art et de l’idéal, sublimation du réel,
caine fondée sur le suffrage universel et violence « contribution à une doctrine laïque de l’exis-
révolutionnaire de la rue ? 4) un antagonisme tence humaine » . Lamartine, Sand, Hugo…
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moins voyant mais réel : la province conserva- courent au-devant du peuple qu’ils ont imaginé,
trice contre Paris révolutionnaire ? et ne le reconnaissent pas. Le peuple de chair
La formule du communiqué officiel « L’Ordre a n’est pas le peuple de papier de l’humanitarisme
triomphé de l’Anarchie », vraie à la lettre, annon- utopique. Le contact est rude. Lamartine, Hugo,
çait une féroce répression : 15 000 hommes cap- Quinet, Renan, Lamennais, Leconte de Lisle ex-
turés, déportés en Algérie. Les journées de périmentent les rugosités de l’élection. Flaubert
février ont marqué la victoire du prolétariat, celles et Maxime du Camp sont gardes nationaux.
de juin le triomphe de la réaction bourgeoise que Maxime du Camp fait le coup de feu contre les
Marx (1818-1883) analyse en termes de défaite insurgés de juin, il est blessé et sera décoré par
dévoilant les ressorts de l’État dont le but avoué Cavaignac. La répression est approuvée par
est « la domination du capital, l’esclavage du Lamartine, Hugo, Tocqueville, Renan, Gobineau,
travail » , entraînant la prolétarisation des légalistes. Désenchantement. Après 1848 les
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couches de la moyenne et petite bourgeoisie et idéaux se replient. La démocratie politique en-
de la classe paysanne. Si Marx voit dans la révo- terre la démocratie sociale. Pour certains le pes-
lution de 1848 une victoire du prolétariat, il préci- simisme, pour tous le conservatisme, tacite ou
pite le Lumpenproletariat aux derniers cercles de déclaré. Tous, de plus ou moins bon gré, se rési-
l’enfer social : « À côté des roués ruinés, aux gnent au régime impérial auquel ils finissent par
moyens d’existence douteux et d’origine égale- s’habituer et même adhérer lorsqu’il se libéralise.
ment douteuse, d’aventuriers et de déchets Les « mages » se réfugient dans l’art pour l’art,
corrompus de la bourgeoisie, on y trouvait des et, tour d’ivoire mise à part, se confondent avec
vagabonds, des soldats licenciés, des forçats cette bourgeoisie qu’ils méprisent. Revenus du
sortis du bagne, des galériens en rupture de ban, peuple, ils consentent, lorsqu’ils ne les sollicitent
des filous, des charlatans, des lazzaroni, des pas, aux honneurs et rentes du régime. Jusqu’à
pickpockets, des escamoteurs, des joueurs, des l’imprévu naufrage. Sedan. Stupeur. À la débâcle
souteneurs, des tenanciers de maisons succède la Commune. Double stupeur devant le
publiques, des portefaix, des écrivassiers, des spectre de la Révolution
74 Ibidem, p 124.
75 Maurice Agulhon, 1848 ou l’apprentissage de la République 1848-1852, Seuil, 1973, réimp. 1992, 2002 citée, p.81-
82.
76 Karl Marx, Les luttes de classe en France, folio histoire,2002, p 19.
Karl Marx, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, le Livre de Poche, p 194. Voir aussi Raymond Huard, « Marx et
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Engels devant la marginalité, : la découverte du Lumpenproletariat » in Romantisme,1988, n° 59, p. 5-17.
78 Paul Bénichou, Romantismes français I, Gallimard 1976, réimp. Quarto Gallimard, 2004, p 11.
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