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VI• NOSOGRAPHIE DE LA COMMUNE ET DE LA RÉVOLUTION
Vécue comme la domination des foules et la que posait Renan : comment avons-nous pu
passion des « honnêtes gens », la Commune a tomber si bas ? Bien conduite, la description vaut
institué la foule comme acteur social et rétroacti- explication et se suffit à elle-même.
vement renouvelé la vision de la Révolution fran-
çaise. La foule est un acteur social illégitime, Procureurs, accusateurs publics, justice expédi-
irrationnel, anhistorique, imprévisible, qui in- tive et jugements sommaires, pelotons d’exécu-
quiète et interroge. Comme dans tout procès, il tion ont rallié le parti des « honnêtes gens »,
convient de procéder à un questionnaire prélimi- scellé le consensus réactionnaire des bourgeois
naire d’entité ; la littérature naturaliste s’en et des artistes et hommes de lettres, ces déçus
charge. Quels sont les mobiles ? Les médecins du peuple, communiant avec eux dans l’effroi, le
des maladies mentales ont sédimenté des séries scandale, la soif de vindicte. Les hommes de
causales multidimensionnelles. Lorsqu’il appa- lettres sont l’expression raisonnable du parti
raît que le nombre, exprimé par le suffrage uni- d’honnêtes gens face au désordre, à la barbarie,
versel, devient la loi des démocraties, la foule de- à l’animalité.
vient un objet scientifique, universel, dépendant Retenons un mythe et deux clichés exploités par
non plus de l’aliénisme, mais de la psychologie, une littérature douteuse qui avait trouvé dans la
révélateur d’une pente fatale de l’histoire : le Commune sa matière et exploitait un filon lucratif.
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triomphe du collectif et de la servitude, la fin de Dans Barbares et Bandits , Paul de Saint-
l’individu et de la liberté. Victor (1827-1881) dénonce : le mythe de l’Inter-
nationale, « société de guerre et de haine »,
La vision naturaliste « franc-maçonnerie du crime », soutenue par
des bandes de « routiers et de malandrins venus
La Commune de Paris constituait un film accé- de l’Europe entière », des « faussaires polo-
léré de la Révolution française de 89 et des sui- nais », des « bravi garibaldiens », des « pan-
vantes, voire un raccourci, une répétition en dours slaves », des « agents prussiens », des
quelques semaines de toutes les révolutions eu- « flibustiers yankees » ; la foule criminelle :
ropéennes, et, imitée par Lyon, Narbonne, « entre la bohème et le bagne : émeutiers de pro-
Toulon, Marseille…, promettait une Fédération fession, assassins de fraîche date, journalistes
de Communes françaises. Mais « le chassepot » tarés, ruffians de faubourg, aboyeurs de club, ou-
de l’armée de l’ordre « faisait merveille », Après vriers de grèves ; le « tas d’hommes perdus »
les cours prévôtales, les exécutions de masse, dont parle Corneille, portés par un flot fangeux
les pontons et les bagnes, la littérature, au nom au sommet de la dictature » ; « un lazzaronisme
d’une fidélité scientifique au réel, de l’histoire vue armé », « la curée de la fortune publique et pri-
et vécue, devait inscrire un stigmate définitif sur vée jetée en proie aux appétits et aux convoitises
la Commune, les Communards, les foules, ap- du prolétariat » ; l’alcool : « Car l’ivrognerie était
posant la signature définitive des vainqueurs, et l’aliment de cette révolution crapuleuse. Une va-
prononçant un jugement définitif et rétroactif. La peur d’alcool flottait sur l’effervescence de la
vision naturaliste méprisant l’agrément et les pré- plèbe. La bouteille fut un des « instruments de
jugés moraux ou religieux, visait à une élucida- règne » de la Commune. Ses bataillons mar-
tion sans compromis des milieux et des compor- chaient en titubant au combat. Il y avait du deli-
tements humains, à atteindre les limites du rium tremens dans la furie de leur résistance. »
dicible, fût-il immonde. En épigraphe de la
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seconde édition de Thérèse Raquin, Zola plaçait Dans Les Convulsions de Paris , Maxime Du
une citation de Taine : « Le vice et la vertu sont Camp (1822-1894) exprime le point de vue de
des produits comme le sucre et le vitriol ». Il faut, l’« honnête homme », l’homme raisonnable, le
dans l’homme, surprendre la bête que les com- bourgeois éduqué, équilibré, dont il trace le
motions du XIXe siècle ont libérée, reconstruire portrait-robot dans sa Préface, en opposition aux
le passé à la lueur des flammes et dans le gron- foules bestiales qui, finalement, ne sont per-
dement des incendies du présent, comprendre sonne, surgissement énigmatique de la bête
l’émotion du présent comme un segment de l’his- humaine se ruant contre une société ordonnée,
toire naturelle, un accès pathologique, une civilisée, humaniste, policée, apolitique :
revendication biologique. Le jugement procède « Les hommes que n’entraîne aucune passion
du diagnostic, et tente de répondre à la question politique, qui pour satisfaire leur ambition n’ont
89 Classification et description des maladies. Pour des historiens et médecins des maladies mentales comme Taine, Lebon,
les aliénistes, la Commune et la Révolution ne sont-elles pas des convulsions pathologiques ?
90 Paul de Saint-Victor, Barbares et Bandits. La Prusse et la Commune, Paris, Lévy frères, 1871, « l’orgie rouge », p 241-255, cité
par Jacques Rougerie, op cit, p. 158-159 et 403.
91 Maxime Du camp, Les Convulsions de Paris , Hachette, 1881, T. 1, Préface.
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