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(mars 1870  -  juillet 1872).  Les  rêveurs  s’accor-  extérieur. À partir de 1882, Charcot met en scène
              dent à voir dans leurs rêves une régression, une   ses  séances  d’hypnose  auxquelles  assistent
              approximation  de  la  folie,  une  analogie  entre   Maupassant, Daudet, Zola, les Goncourt, Taine,
              l’hallucination et le rêve, un affaiblissement pa-  et  autres  assistants  de  marque  comme  le
              thologique de l’intelligence.                     philosophe, mathématicien et hypnotiseur belge
              Dans sa leçon inaugurale au Collège de France     Joseph Delboeuf (1831-1896), spectateur occa-
              Ribot crédite son pays d’un « procédé à peu près   sionnel  en  décembre 1885  et  Sigmund  Freud
              unique d’expérimentation qui y ait été employé :   (1856-1935),  élève  de  Charcot  entre  1885  et
              c’est l’hypnose ». Nous avons vu quelle place te-  1886. La Revue de l’hypnotisme est fondée en
              nait le phénomène hypnotique dans la théorie de   1886.
              la connaissance de Taine. La pratique de l’hyp-
              nose relève de plein droit de la psychologie ex-  Nancy abrite un foyer hypnotique rival, animé par
              périmentale au sens de Ribot qui avait détaché    Hippolyte  Bernheim  (1840-1919)  qui  dénonce
              la psychologie de l’orbite spiritualiste et de l’illu-  (1884) le cadre théorique et la pratique de l’hyp-
              soire postulation de la liberté pour l’inscrire dans   nose  selon  Charcot,  notamment  le  vedettariat
              un strict déterminisme. L’hypnose allait vérifier la   des  sujets  sollicités  pour  les  monstrations  du
              dimension  de  l’automate  dans  l’homme.  En     maître. L’hypnose n’est pas réservée aux hysté-
              1835, l’Académie de médecine avait condamné       riques ;  n’importe  qui  est  virtuellement  hypnoti-
              le magnétisme animal popularisé notamment par     sable. Les sujets de Charcot sont prédisposés à
              l’abbé Faria et le marquis de Puysségur.          l’expérience et y consentent par l’effet d’une sug-
                                                                gestion  que  le  maître  exerce  à  son  insu.
              En  1875,  Charles  Richet  (1850-1935),  ami  de   Bernheim dénonce un « phénomène de culture »
              Claude  Bernard,  familier  de  Broca,  futur  prix   (J.  Carroy).  L’École  de  Nancy  entend,  au  con-
              Nobel, passionné dès sa jeunesse par les phé-     traire,  explorer  la  relation  entre  l’hypnotisé  et
              nomènes de somnambulisme et l’influence à dis-    l’hypnotiseur et dévoiler la puissance de la sug-
              tance,  rétablit  sa  pratique  sous  le  nom  savant   gestion qui n’est rien d’autre qu’« une idée qui se
              d’hypnose et de somnambulisme provoqué. Il pu-    transforme en acte », « un mot introduit dans le
              blie L’Homme et l’Intelligence (1884) 109  où il re-  cerveau ». Les sujets de Bernheim se soumet-
              late ses expériences, suggérant à loisir à ses su-  tent  aux  pires suggestions : vols, viols, crimes.
              jets des changements invraisemblables de rôle     Dans  tous  les  cas,  l’hypnose  révèle  la  loi  pro-
              social et de passage à la nature animale (chèvre,   fonde des relations humaines et des rapports so-
              lapin), obtenant dans tous les cas les comporte-  ciaux : l’implacable dualité du suggestionneur et
              ments adéquats qu’il désigne comme « objecti-     du suggestionné, du dominant et du dominé.
              vation  des  types  par  amnésie  de  la  personna-
              lité » 110   (p. 251).  Le  somnambulisme  relève  de   Le champ de l’hypnose est parcouru de diverses
              l’automatisme et du rêve, provoque « une amné-    fractures :  hypnose  médicale  vs  hypnose  psy-
              sie de la personnalité avec une personnalité nou-  chologique ; hypnose de cabinet vs hypnose de
              velle », l’hypnotisé étant un acteur qui, pris de fo-  spectacle.  Le  premier  congrès  international  de
              lie, s’imaginerait que le drame qu’il joue est une   l’hypnotisme se termine par une motion propo-
              réalité » (p. 237). Ces phénomènes s’inscrivent   sée par Charcot, tendant à interdire l’hypnose de
              dans une perspective darwiniste de sélection na-  spectacle. Cette interdiction qui aurait réservé le
              turelle et de progrès (le but final de la nature »).   monopole  de  l’hypnose  aux  médecins,  déclen-
              « La lutte qui est perpétuellement engagée entre   cha  la  polémique  entre  le  médecin  helvétique
              tous les êtres est une lutte sans merci, et nulle   Ladam  et  le  psychologue  belge  non-médecin
              pitié n’est réservée au vaincu » (p. 440).        Leboeuf. Enfin la pratique hypnotique soulevait
                                                                des problèmes éthiques et déontologiques liés à
              En 1878 le théâtre de l’hypnose transporte ses    l’abus de pouvoir dénoncés par Wilhem Wundt
              tréteaux  à  la  Salpêtrière  sous  les  auspices  du   (1832-1920) dans Hypnotisme et suggestion.
              Napoléon de la neurologie, Jean-Martin Charcot    Étude critique 111  (1893) : la situation de l’hypno-
              (1825-1893) et de ses disciples. Le neurologue    tique  constitue  « un  esclavage  avec  circons-
              associe l’hypnose à l’hystérie dont elle lui paraît   tances aggravantes » du fait de la  privation  de
              constituer l’élément somatique et le cadre appro-  liberté qu’il subit. « De tous les rapports qui puis-
              prié de son observation clinique. L’hypnose per-  sent relier l’homme à l’homme, celui-là est le plus
              met la répétition expérimentale et observable des   immoral qui fait de l’un la machine de l’autre »
              symptômes hystériques. Elle produit un état de    (p. 157).  Wundt  ajoute  une  critique  d’ordre
              vide  intérieur  qui  transforme  la  personne  en   noétique,  la  dérive  de  l’hypnotisme  dans  la
              automate  obéissant  à  n’importe  quel  stimulus   « tendance vers l’occultisme » (p. 166).

              109  Charles Richet, L’Homme et l’Intelligence , Alcan, 1884.
              110  Souligné par l’auteur.
              111  W Wundt, Pr. à l’Université de Leipzig, Hypnotisme et suggestion. Etude critique, traduit de l’allemand par A.
              Keller, Paris, Alcan, 1893.


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