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transformer » 115 (p. 69). - « Depuis l’aurore des Psychologiquement les foules se situent au
civilisations, les peuples… » (p. 90). - « À l’au- niveau mental des femmes et des enfants, 117
rore de ces civilisations une poussière d’hommes éprouvent les pulsions de l’homme atavique, im-
d’origines variées, réunis par les hasards des mi- mémorial, de l’« homme primitif », ne compren-
grations, des invasions et des conquêtes » nent que ce qui est « simple et exagéré ». Au
(p. 177). fond la foule n’a pas accès à l’idée puisqu’elle
Le point de vue intemporel de Le Bon l’autorise à n’est que sentiment, instinct, elle ne saurait en-
utiliser des termes généraux, dont l’extension est tendre que des slogans qui résonnent en elle
maximale, conformes à son point de vue supra comme des croyances, des paroles sacrées, et
historique qui le dispense d’alléguer d’autres déclenchent leur fanatisme religieux. N’oublions
preuves que celles qui servent sa thèse. pas que pour Le Bon, comme pour les philo-
sophes matérialistes des Lumières, la religion se
L’art des généralités situe au degré zéro de l’intelligence 118 mais au
degré maximum de la pulsion génératrice des
Le Bon peut donc se livrer à la libre manipulation crimes de masse tels que « la Réforme, la Saint-
des mots qu’il présente comme des essences. Il Barthélemy, les guerres de Religion, l’Inquisition,
parle de la foule et des foules. La foule au singu- la Terreur » (p. 61). Les processus mentaux de
lier est plutôt l’objet de l’observation et de la la foule sont rudimentaires : le sentiment, le slo-
démarche scientifique. Les foules au pluriel relè- gan, l’image. Le Bon en profite pour glisser un
vent plutôt de l’historien des civilisations qu’est conseil : « L’orateur qui veut la séduire doit abu-
également Le Bon, apte à une vue synthétique ser des affirmations violentes. Exagérer, affirmer,
de leur comportement diachronique et synchro- répéter, et ne jamais tenter de rien démontrer par
nique. La foule se définit en substance comme la un raisonnement sont les procédés d’argumen-
participation à une émotion collective quelle que tation familiers aux orateurs populaires » (p. 37)
soit la source de cette émotion : débat public, - « Avec des modèles, on guide des foules »
spectacle, journal… et quelles que soient les (p. 106).- « Connaître l’art d’impressionner les
modalités d’agrégation des individus : collection foules, c’est connaître l’art de les gouverner »
d’individus en un lieu géographique (foule révo- (p. 55).- L’art des gouvernants consiste principa-
lutionnaire, parlements, jurys, théâtres), ou dis- lement à « manier les mots », sans égard pour la
séminés (lecteurs d’un journal… ). Le critère vérité puisque la multitude ignore les idées, les
stable de la foule consiste en la loi de son « unité raisonnements, la vérité. Le recours au men-
mentale » 116 , en l’unicité de son « âme ». On songe est techniquement fondé et montré
pourrait s’interroger sur le caractère tautologique comme un devoir de gouvernement.
de cette définition, mais la métaphore de l’âme
permet à l’auteur de s’introduire dans la vie psy- L’occultisme
chique de la foule, d’analyser son imagerie inté-
rieure et ses affects par exemple l’exaltation de L’une des forces de l’essai réside dans son
son sentiment d’invincibilité ou l’inhibition de son illusion noétique. Le Bon organise en système
sentiment d’irresponsabilité. quelques mots centraux dont la validité scienti-
Il est d’évidence qu’en vertu de la loi de l’unité fique est invérifiable mais qui peuvent suggérer
mentale des foules, le moi individuel de ceux qui un super-savoir, d’ordre ésotérique ou occul-
la composent subit un sérieux déclassement : tiste : âme, inconscient, imitation, suggestion,
« Donc, évanouissement de la personnalité contagion, automatisme, hypnose, illusion, pres-
consciente, prédominance de la personnalité in- tige. La relation de la foule à ses meneurs repro-
consciente… ». L’individu en foule n’est plus lui- duit le schéma de l’hypnotisé face à son hypnoti-
même mais un « automate que sa volonté est im- seur. Le Bon reproduit les fondamentaux des
puissante à guider » (p. 19). psychologues : inhibition de la vie consciente du
115 Exemple du creux de Le Bon et de sa platitude prudhommesque, dont est issu son essai.
116 « Il se forme une âme collective...La collectivité devient alors, ce que faute d’une expression meilleure, j’appellerai
une foule organisée ou si l’on préfère, une foule psychologique. Elle forme un seul être et se trouve soumise à la loi de
l’unité mentale des foules . » (p12)
117 La SAP (Société anthropologique de Paris), sous l’autorité de Broca, à partir d’une craniologie effrénée et d’une
quantité industrielle de mesures dont la méthodologie avait été âprement discutée au plan européen, croyait avoir fondé
scientifiquement et définitivement l’infériorité intellectuelle de la femme, et a imposé cette opinion qui a eu la vie dure ;
opinion que l’on s’étonne de retrouver sans discussion sous la plume d’auteurs comme Alfred Fouillée ou Émile Durkheim
penseurs quasi-officiels de la République. Il était acquis depuis Michelet que la religion n’ influençait que les femmes et
les enfants ; opinion partagée par la majorité des républicains radicaux qui voyaient là une mesure de maintien de l’ordre
moral sans graves conséquences, la politique étant l’affaire des hommes. Quant aux enfants, Le Bon conteste
vigoureusement la prise en compte de leur parole par les juges, y voit un signe d’affaiblissement des mœurs.
118 « Et Voltaire avait déjà fait observer à propos de la religion chrétienne que « la plus vile canaille l’avait seule embrassée
pendant plus de cent ans » (p 107).
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