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qualité des sols mais celle des cultures, et dans cer- l’heureuse formulation d’Alice Ingold : « un héritage
taines limites : la croissance d’une partie du cycle qui lie les hommes au-delà de leur volonté, et qui les
végétal. L’eau est un « excitant nécessaire », un lie par des liens sédimentés par les choses ». 48
« véritable moteur qui met en mouvement les forces Sorel a souligné la centralité du droit civil – essence
végétales » jusqu’à un certain seuil : la « valeur car- du droit –, et le rôle fondateur, la primauté des droits
dinale de l’excitation » ; au-delà, l’utilité de l’arrosage réels sur les droits personnels. Il a toujours salué
décroît et peut devenir nocif. Ce sont les lois natu- la jurisprudence – source du droit – des tribunaux
relles de la production agricole qui dictent le véritable judiciaires statuant en droit sur les titres de propriété
règlement du partage des eaux. Le bon emploi de la et les priorités qui en découlaient, et non en équité
ressource doit être cherché dans son utilité agrono- au nom de l’égalité. Il n’a que défiance pour les éco-
mique. Telle est sa finalité première dont découlent nomies factices, sentimentales, purement sociales,
les modes de répartition, intégrés dans des struc- dans l’esprit socialiste de 1848, portées au nom de
tures agraires construites patiemment par des géné- la fraternité par des « orateurs de village », avocats
rations dans le temps, et porteuses d’un savoir-faire des zones infertiles, naïfs, mais écoutés. Les primo-
qu’il convient de redécouvrir. « Aujourd’hui on sait créanciers de la ressource ne doivent pas être lésés.
qu’il n’existe pas de quantité nécessaire et suffisante De ce que l’eau est socialisée, il n’en résulte pas
pour l’arrosage, que la culture peut consommer uti- qu’elle doive être également répartie : « Les socia-
lement des volumes d’autant plus grands qu’elle est listes fraternels ne comprennent pas ce qu’ils disent.
intensive. » Ce n’est pas au nom de la fraternité mais au nom
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de la raison d’État que l’on peut imposer de pareils
Sorel oppose culture extensive, agriculture des sacrifices. » 49
zones arides de coteaux ou de montagne, à la
culture intensive de la plaine où fleurissent jardins E. Un discours critique
et vergers. Il est conscient de l’action transformante
des canaux d’irrigation sur le paysage agraire et la Durant ses années en Roussillon, Sorel a déploré
constitution du milieu humain, ses habitus, ses rap- les ingérences de l’État, ses abus de pouvoir, mais
ports sociaux, son économie, dans un cycle tem- non moins, ses faiblesses, voire ses démissions
porel long qui capitalise patience, continuité, intel- lorsqu’il ne fait pas appliquer ses règlements. « La
ligence de l’effort humain, et structure les règles de notion de l’État devient, de plus en plus, confuse en
succession et la transmission des vertus. notre siècle. » L’inspiration conservatrice libérale
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« Le perfectionnement de l’agriculture par l’irrigation de son action et de ses analyses n’est pas douteuse.
comporte une transformation presque complète des Il ne cède pas à l’illusion de la toute-puissance de
usages et des procédés ; presque toujours elle se lie la technique et se défend de l’idéologie saint-simo-
avec des modifications dans la tenure de la terre et nienne qui imprègne l’École Polytechnique. Sa résis-
elle exige un grand développement de la population. tance déclarée au « solutionnisme technique » des
Il ne faut pas seulement beaucoup d’argent, beau- barrages-réservoirs le montre. Les idées directrices
coup d’activité et d’intelligence, mais il faut aussi de son action et de sa pensée tiennent en quelques
beaucoup de temps pour que le nouveau régime maîtres-mots : (1) la démonstration au sens scien-
arrive à produire tous ses effets. » 46 tifique, logique et mathématique du terme ; mathé-
maticien hors pair, il calcule avec précision, restaure
Il décrit, pose comme modèle ou prototype écono- les équivalences des mesures stipulées dans les
mique et social, le domaine rural « qui, a servi de conventions d’eau et démonte les mécanismes de
type économique aux théoriciens du droit civil, [où] calcul utilisés par les ingénieurs des siècles précé-
tout était organisé en vue des héritiers, en sorte dents appréciés en relation avec le machinisme de
qu’on aurait pu dire de ceux-ci qu’ils étaient les l’époque ; il est critique des études de ses contem-
seigneurs cachés de la terre : le propriétaire actuel porains et des sophismes qui grèvent leurs rap-
n’étant que leur mandataire » . Il voit dans les asso- ports ; il met à jour l’absence de calcul, l’imprécision,
ciations syndicales agricoles chargées de la tenure les fausses évidences, les appréciations juridiques
des canaux, la survivance d’institutions anciennes erronées qui faussent l’action publique ; (2) l’expé-
gérant les territoires, « l’association complète qui rience désigne aussi bien les leçons pratiques du
engage les hommes », plus stable que ne le fait « la réel, que la science expérimentale et la sagesse de
fabrique moderne décrite par Marx » ; en un mot, la jurisprudence, c’est-à-dire le droit en action sur
emprunté à Marcel Mauss : « un des rocs humains des cas concrets ; née du contact avec le réel, l’ex-
sur lesquels sont bâties nos sociétés » ; ou, selon périence est source de vérité ; elle est transmissible
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45. G. Sorel, ibidem, p. 109.
46. G. Sorel, ibidem, pp. 151-152.
47. M. Mauss, op. cit., p. 68.
48. A. Ingold : « Penser... », art. cit., p. 48.
49. G. Sorel, art. cit., p. 163.
50. G. Sorel, ibidem, p. 173, note 1.

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