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et constitue le lien  qui  relie  le passé au   présent  ;   préambule à son histoire de la Révolution française
            (3) le calcul des probabilités, qui conditionne notre   en Roussillon :  « Notre but est de saisir, dans le
            compréhension  de (4)  la  vie  pratique  : «  Dans  la   drame qui va se dérouler sous nos yeux, ce qui en
            vie pratique, il n’existe rien d’absolu  ;  toutes les   fait l’importance : la lutte des idées et des classes. » 56
            questions se ramènent à des problèmes de proba-    Le centenaire  de la Révolution  relance,  face aux
            bilités. »  Il déplore que la maîtrise du calcul des   hagiographies  et ostentatoires célébrations  répu-
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            probabilités soit réservée aux officiers chargés des   blicaines, les études historiques critiques  : exploi-
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            études logistiques et aux actuaires des compagnies   tation d’archives,  mise à  distance,  essai d’évalua-
            d’assurances ; « c’est là certainement, un grand mal-  tion, jugement  des acteurs. Sorel publie  dans le
            heur ». Lui-même s’est efforcé d’appliquer le calcul   Bulletin de la SASL une étude sur « les Girondins
            des probabilités aux températures, aux gelées prin-  en Roussillon ».
            tanières, aux étiages des rivières, et a produit deux
            articles sur  le sujet  :  l’un en  collaboration  avec le
            docteur  Fines, président  de la société  météorolo-
            gique départementale  :  «  Probabilités  des prévi-
            sions de gelées printanières à Perpignan » (Bulletin
            de la commission météorologique des P-O, 1886),
            l’autre sous son nom : « Le calcul des probabilités et
            l’expérience » (Revue philosophique, 1887). 52

            F. Communauté intellectuelle,
            apprentissages

            On ne saurait séparer la formation intellectuelle
            de Sorel de la petite communauté  savante que
            rassemble la Société  agricole  scientifique  et  litté-
            raire (SASL) des Pyrénées-Orientales, notamment
            le chartiste Jean-Auguste Brutails   (1859-1926),
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            Directeur des  Archives départementales, auquel
            succédera Émile Delplanque (1865-1915), et le cha-
            noine Philippe  Torreilles  (1859-1926) ,  professeur
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            de dogme au Grand Séminaire, historien reconnu,
            avec lesquels Sorel entretiendra non seulement un
            riche commerce intellectuel, mais une amitié qui se
            prolongera bien au-delà de son départ de Perpignan.

            Historiens,  collaborateurs  du Bulletin  de la  SASL,
            ou d’autres revues savantes comme la Revue d’his-
            toire et d’archéologie du Roussillon, ils dirigent leurs
            recherches suivant la « critique moderne », soit une   Georges Sorel y étudie  d’aussi près que possible
            méthode sociologique, celle qui inspire un Simiand   une figure locale, Lucia, procureur-général-syndic :
            et préfigure l’École des Annales :  « Pour connaître   « Nous l’avons dit, Lucia était avant tout le type d’une
            le vrai état juridique d’un peuple, il faut consulter les   classe ; les gens qui peuvent être employés comme
            actes de sa vie pratique, dépouiller les cartulaires,   type manquent d’originalité  : il n’en a pas du tout.
            les recueils judiciaires, les minutes des notaires. »    L’étude de ce personnage nous apprend très bien
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            Dans le même esprit, Philippe Torreilles déclare, en   quel était l’état intellectuel de la haute bourgeoisie

            51. G. Sorel, ibidem, p. 154.
            52. E. Frénay, art. cit., p. 262.
            53.  Auteur notamment d’une Étude historique de la LOI STRATAE (article 72 des usages de Barcelone), Paris, Larose et Porcel,
            1888.
            54. C’est le chanoine Torreilles qui fait admettre Sorel à la SASL des P-O. en 1888.
            55. J.-A. Brutails : « Condition des populations rurales du Roussillon au moyen âge », Le Roussillon, 24 septembre 1911. cité par A.
            Ingold, « Penser... » op. cit., p. 42.
            56. Philippe Torreilles : Histoire de la Révolution en Roussillon. Perpignan pendant la Révolution (1789-1800), 3 vol. Perpignan,
            Latrobe, 1896-1898. Cité par Mathias Delcor, « Les prêtres érudits du Roussillon au XIX  et XX  siècle », Revue d’histoire de l’Église
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            de France, 1985/186, pp. 25-46. Il est présenté en ces termes : « Torreilles a été un érudit infatigable, travaillant toujours de
            première main sur des documents d’archives, avec méthode et rigueur. »
            57. Le centenaire contenait des virtualités polémiques qui se manifestèrent, à Perpignan, par l’opposition de deux bastions :
            les  Archives  départementales  (réactionnaires),  la  Bibliothèque  municipale  et  son  responsable  Vidal  (républicain).  Sur  les
            affrontements érudits mais publics, par articles de presse, et la critique brutale des travaux de Vidal (via Le Roussillon, royaliste),
            voir le rôle actif de Sorel : E. Frénay, art. cit., p. 263.

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